Winterreise
Chorégraphie : Christian Spuck
Distribution : Ballet de Zurich
Christian Spuck, directeur du Ballet de Zurich, se plonge dans l’atmosphère sombre, typique du romantisme allemand du XIXème siècle. Il conçoit une chorégraphie très spirituelle avec des images qui incarnent de manière subtile l’esprit de l’époque.
Winterreise, dernière création de Christian Spuck pour le Ballet de Zurich, s’inspire des 24 lieder de Schubert (1827) pour piano et voix qui portent le même titre. Le chorégraphe s’approprie les thèmes des textes de Muller pour les relire et en saisir les symboles. Mais surtout, il s’inspire pour la musique de la nouvelle version instrumentale découverte il y a deux ans, celle de Zender qui avait composé une partition pour ténor et petit orchestre. En fait, Christian Spuck se confie ainsi : « j’ai toujours été fasciné par la musique de Schubert, mais je la trouvais renfermée, difficile à chorégraphier. La découverte de la création exceptionnelle de Zender, avec des sonorités plus intéressantes et puissantes provenant de l’utilisation de différents instruments de l’orchestre en dialogue entre eux, m’a offert plus de sources d’inspiration ».
Effectivement, le résultat est poétiquement réussi. La pièce est conçue par différents tableaux touchants : la mélancholie, la peur, l’angoisse, la recherche du contact avec l’autre, y sont représentés particulièrement à travers des solos, des duos, des trios aux lignes néoclassiques, porteurs d’images esthétiquement épurées et montrant toute une constellation de mouvements recherchés.
« Les danseurs du Ballet de Zurich proviennent de nombreuses parties du monde, affirme Christian Spuck. Certains d’entre eux ne connaissaient pas du tout les lieders de Schubert. Ils les ont découverts au fur et à mesure, lors de cette création. Il y a des parties qui sont le résultat d’un travail d’improvisation bien dirigé, avec des thèmes et des directions bien délimités. Je leur ai expliqué les sujets des lieders et leur ai donné des indications sur comment et quand ils devaient commencer et finir leur recherche des gestes. Mais, en même temps, je leur ai laissé beaucoup de liberté et je leur ai fait confiance, ce que j’ai eu en retour ».
Malgré le langage chorégraphique très codifié qui produit des passages émotionnellement puissants, soit qu’ils soient plus liés à la danse classique avec l’utilisation des pointes, soit plus contemporains, Christian Spuck ne se limite pas à une simple réécriture ou à une représentation directe des images contenues par les textes des lieders. En fait, il souligne : « je n’ai pas voulu créer une pièce complétement lisible où l’on pouvait tout comprendre. Ce qui m’a intéressé, ça a été de garder un esprit de mystère, laisser une sorte d’atmosphère mystique qui sous-entend les textes. Certes, il y a des symboles que j’ai repris clairement, notamment la neige, des cerfs, la nature dépouillée hivernale, mais mon message voulait aller au-delà, je voulais toucher le public avec des scènes émouvantes, qui parlaient de sentiments, et laisser ouverte la porte à l’interprétation ».
Le romantisme allemand, qui mettait l’accent sur la force de la nature en lui attribuant des pouvoirs majeurs, est rendu sur scène grâce à la seule construction chorégraphique, très intense et très riche, le décor étant presque inexistant. La voix du ténor Mauro Peter amplifie les lignes allongées des danseurs et l’intensité de leurs arabesques, notamment dans les duos attachants, symboles de désir et de recherche d’infini. L’histoire du personnage isolé et solitaire des lieder, qui vivait sa souffrance intérieure non seulement à cause d’un chagrin d’amour mais de manière plus universelle, liée à son existence, est transformée dans ce ballet en multiple facettes, comme une sorte d’analyse psychologique qui creuse les raisons d’un état sentimental plus global. Cette approche se révèle très prégnante. Si l’on compare ce que l’on ressent en écoutant les lieder de Schubert avec Winterreise de Christian Spuck, on se rend compte de l’opération magistrale achevée avec ce ballet. Une interprétation subtile et profonde dépasse tout état de chose. Le public ému salue avec force applaudissements la fin du spectacle.
Zurich, 10/11/2018 – Antonella Poli