Teatro alla Scala : Kratz-Preljocaj-De Bana
Chorégraphie : Philippe Kratz, Angelin Preljocaj, Patrick De Bana
Distribution : Les étoiles, les premiers danseurs et le Corps de Ballet du Teatro alla Scala

Solitude Sometimes-ph.Brescia et Amisano
Le Ballet du Teatro alla Scala de Milan a présenté du 28 février au 12 mars un tryptique de danse contemporaine constitué de Solitude Sometimes de Philippe Kratz (une reprise de 2023), Annonciation d’Angelin Preljocaj et la création de Patrick De Bana, Carmen.
C’était le dernier programme de Manuel Legris en tant que directeur de la compagnie milanaise : il a été remplacé pour deux ans par Frédérick Olivieri, qui avait déjà pris les rênes du Ballet de La Scala dans les années 2002-2007 et 2016-2020.
Solitude Sometimes s’inspire du voyage symbolique du dieu égyptien Râ, roi du Soleil et créateur du monde qui, selon la mythologie, illumine nos jours.
La structure de la chorégraphie reprend le style des peintures égyptiennes : elle procède par tableaux où les quatorze danseurs se succèdent en traversant la scène horizontalement, avec des pas minimalistes créés par des mouvements oscillants du bassin. On trouve aussi de fréquents moments où les danseurs restent figés dans des poses où le haut des corps est incliné vers le sol.
Le public peut être hypnotisé par l’atmosphère sombre qui contraste avec les costumes originaux dorés et le flux des apparitions et disparitions des danseurs. Les duos, bien construits, représentent des éclats visuels qui cassent l’uniformité du défilé des autres danseurs ; ils peuvent aussi nous conduire à imaginer des dialogues et des réflexions intimes.
Les séquences en groupe constituent un cadre rythmique qui fait écho à la musique de Thom York et Radiohead. La pièce touche par son intensité et par son style, susceptible d’installer une atmosphère surréelle et mythique.

Caterina Bianchi et Agnese Di Clemente-Annonciation-ph.Brescia et Amisano

Caterina Bianchi et Agnese Di Clemente-Annonciation-ph.Brescia et Amisano
Annonciation, une des pièces majeures du répertoire d’Angelin Preljocaj, revient sur la scène de La Scala après vingt-trois ans d’absence. Il s’agit d’un superbe pas de deux dédié au moment même où l’archange Gabriel avertit la Vierge Marie de sa prochaine maternité. Contrairement à la vision spirituelle que l’iconographie classique lui consacre, ce duo met l’accent sur son aspect charnel et sensuel. Marie (Agnese Di Clemente) apparait enfermée dans sa solitude, mais la partition sonore abstraite, Crystal Music de Stéphane Roy, laisse présager son destin.
Elle est stupéfiée par l’arrivée fulgurante du puissant archange (Caterina Bianchi) qui s’impose face à elle et trouble sa tranquillité. Elle est impressionnée par sa présence et ses gestes symboliques : il élève son index pour signifier la volonté divine, la touche avec ses mains particulièrement au niveau du ventre et suggère l’annulation de la distance entre l’humain et le divin, l’esprit et la chair.
Malgré l’engagement des deux artistes, en soulignant qu’elles dansaient ce ballet pour la première fois, leur interprétation aurait mérité plus de profondeur pour transmettre toute la force novatrice que la pièce incarne.
La création Carmen de Patrick De Bana était très attendue. L’héroïne espagnole, devenue célèbre grâce à l’opéra de Georges Bizet, charme encore aujourd’hui si l’on tient compte des dernières créations que des chorégraphes contemporains lui ont consacré : Abou Lagraa pour le Ballet national de Tunis (2024) et Jiří Bubeníček pour le Ballet de l’Opéra de Rome (2025). Malheureusement, le ballet nous a laissé perplexe par sa faible conception dramaturgique et une chorégraphie simpliste. La première danseuse Alice Mariani a été sensuelle face à un Don José interprété par l’étoile Roberto Bolle. Dommage que le danseur n’ait pas été mieux mis en valeur, sa performance apparaissant parfois prévisible et un peu superficielle.

Alice Mariani et Roberto Bolle-Carmen-ph.Brescia et Amisano
Le Corps de Ballet a insufflé une belle allure à un spectacle qui, par ailleurs, donnait l’impression de ne pas être véritablement accompli.

Corps de ballet-Carmen-ph.Brescia et Amisano
Milan, Teatro alla Scala, 7 mars 2025
Antonella Poli