Plus loin l’Europe : Israël
Chorégraphie : Gil Carlos Harusch, Ohad Naharin
Distribution : Le Ballet de l'Opéra national du Rhin
Pour le Ballet du Rhin, compagnie frontalière qui, au-delà de sa position géographique proche de la Suisse et de l’Allemagne, se partage entre Strasbourg, Mulhouse (où sont installés les studios du CCN) et Colmar, l’altérité est un concept qui va de soi. Et son directeur, Bruno Bouché, l’affirme par une programmation éclectique, d’artistes venus de tous horizon. En même temps, attentif à ce qui porte un renouveau dans la danse tout en gardant l’exigence d’un engagement physique important, il a conçu cette fois un programme autour de deux artistes israéliens, l’un considéré comme un des grands chorégraphes contemporains, l’autre, jeune espoir de la nouvelle génération. Du premier, Ohad Naharin, ce sont deux pièces courtes qui rentrent dans le répertoire de la compagnie, quant au second, Gil Carlos Harush, c’est une création pour le Ballet du Rhin.
Black Milk, créé en 1985 pour cinq danseurs vêtus d’un ample pantalon blanc mais torse nu, développe une sorte de danse tribale. Au rythme de deux marimbas, les mâles tour à tour s’affrontent ou partagent des instants ludiques et complices. Une énergie sauvage mâtinée d’une sensualité à fleur de peau se dégage de chaque mouvement.
La deuxième pièce de Navarin, George & Zalman, créée en 2006 pour cinq filles, à partir du texte homonyme de Charles Bukowski et sur la musique d’Arvo Part, est traversée par la même force vitale mais l’écriture qui demande un contrôle très précis de chaque geste, se fait plus subtile, plus sensible et plus distanciée. Une sorte de pendant féminin sans épanchement ni abandon.
Avec The Heart of my Heart, Gil Carlos Harush trouve et affirme un style qui traduit le ballet classique en langage contemporain, ce qui n’était pas évident pour un jeune chorégraphe dont la formation s’est faite en dehors du classique et qui signe sa première œuvre pour une compagnie de ballet (et non des moindres puisqu’elle compte 32 danseurs).
De façon très habile, Harush a associé à l’élan vertical, caractéristique du ballet, un ancrage au sol tout à fait personnel. Si la gravité s’impose, très vite, l’envol la défie. Quant au cœur, puisqu’il s’agit de lui, il bat tout au long du ballet, et ses battements, souvent amplifiés avec humour, donnent lieu à une invention gestuelle où se note un souci de la forme et de la qualité du mouvement. S’il fallait émettre une critique, une seule, ce pourrait être, non sur la qualité mais sur la quantité de mouvements qui peut donner une sensation de surcharge. Vouloir tout dire, tout montrer est sans doute une caractéristique de la jeunesse qui apprend seulement plus tard à laisser de l’air circuler entre les lignes, à « faire plus avec moins ». Mais Harush, aidé par la superbe interprétation des quatorze danseurs du Ballet du Rhin, possède le talent de nous faire « éprouver » un mouvement qui circule aussi naturellement que le sang dans les veines, et l’effervescence juvénile qui parcourt le plateau, cette fièvre ardente des jeunes interprètes, très vite, se communique au public. De son coté, la musique, taillée sur mesure par le chanteur et compositeur déjà très connu en Israël, Chemi Ben David, rythme et renforce les pulsations cardiaques du spectacle.
Comme à son habitude, Harush s’occupe également des décors, costumes et lumière. Un seul élément occupe une partie du plateau : une imposante balançoire dont le mouvement serait la métaphore d’une conciliation possible entre positif et négatif. Et Harush d’expliquer qu’enfant, son souhait jamais exaucé par ses parents de recevoir une balançoire, a engendré une frustration devenue moteur de création. Toucher ce point d’équilibre, ce secret lové au plus profond « du cœur du cœur » de tout un chacun, voilà le but d’Harush qui, reprenant une phrase d’un discours de Michèle Obama, intitule son spectacle The Heart of my Heart, et nos cœurs sont d’intelligence avec lui.
Sonia Schoonejans
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