PHY
Chorégraphie : Guillaume Côté
Distribution : Royal Winnipeg Ballet
Musiques : Grimes
Théâtres fermés, danseurs loin des scènes…Malgré ce scénario inattendu et contraignant, Guillaume Côté, étoile et chorégraphe associé du Ballet National du Canada basé à Toronto, a revivifié le Royal Winnipeg Ballet avec une création, Phy, présentée en version numérique, lors du rendez -vous annuel de la compagnie canadienne, Ballet Ball.
Ses principales particularités consistent dans le fait que Phy a été créé à distance et qu’il ne s’agit pas d’un film mais d’une chorégraphie dansée sur scène en respectant de plus des gestes barrières et le porte du masque. Cela pourrait crisper les passionnés et les professionnels de la danse, car cet art, plus que d’autres, implique d’une part la participation des corps des danseurs dans leur totalité, avec leurs sensations, les contacts réciproques et d’autre part le rapport étroit avec le chorégraphe.
Le chorégraphe Guillaume Côté, confirme en fait que « on n’aime pas la technologie, c’est un sacrilège de remplacer les anciennes méthodes de création, mais aujourd’hui l’utilisation des moyens technologiques dont nous disposons ont permis cette collaboration inédite d’autant plus que ce serait un choix irresponsable d’admettre le public dans les salles dans cette période encore aigue de pandémie ». La technique s’est mise au service de l’art et le résultat est surprenant.
Le Royal Winnipeg Ballet est la plus ancienne compagnie de danse du Canada composée par 26 danseurs jeunes qui se sont montrés très enthousiastes pour la nouvelle approche, impatients et envieux de pouvoir danser. Leur répertoire, qui comprend les grands classiques et des pièces contemporaines, fait l’objet de nombreuses tournées au Canada et en Amérique du Nord.
« Il s’agit d’un groupe très ouvert, de formation très classique, prêt à expérimenter de nouveaux styles et à travailler avec de nouveaux chorégraphes », nous explique le chorégraphe qui a dansé d’abord toutes les séquences du ballet en restant à Toronto pour les transmettre ensuite via des vidéos aux danseurs grâce à des grands écrans et en dialoguant avec eux. Pour les pas de deux, Greta Hodgkinson, étoile du Ballet National du Canada, l’a accompagné dans cette aventure. Deux semaines de création, six heures par jour a été l’emploi du temps nécessaire pour réaliser Phy, pièce dynamique, riche d’énergie mettant en valeur les capacités techniques des danseurs du Royal Winnipeg Ballet.
« J’étais pratiquement libre de créer sur un sujet de mon choix – souligne Guillaume Côté – les seules contraintes que j’avais étaient celles liées au respect des distances entre les danseurs (deux mètres), et de ne jamais faire danser des groupes de plus de huit danseurs. Toute la compagnie a participé à cette création et, en particulier, j’ai créé des séquences pour trois ensembles de huit danseurs et deux pas de deux. J’avais envie de viser la précision, de retrouver la virtuosité de la danse, le sens du contrôle et la musicalité. Pendant cette période de pandémie la danse contemporaine, plus fluide, moins exigeante a parfois fait oublier le classique.
D’une certaine manière je me suis inspirée de l’image des fractales, objets infiniment morcelés qui laissent distinguer, en zoomant, différentes autres parties. J’ai conçu ma chorégraphie avec cette idée en sorte que le spectateur puisse découvrir de nouveaux tableaux et leur enchainement. Tous les mouvements sont très rapides et la musique abstraite de la musicienne canadienne Grimes, est très rythmée, neutre, nous rappelant les battements du cœur. Ce choix musical a été un parti pris, je ne voulais pas m’appuyer sur une mélodie, susciter des émotions particulières et mon souhait était aussi celui de laisser libres les danseurs dans leur interprétation ».
Effectivement Phy dégage une grande physicalité, une richesse de mouvements basés sur la recherche et le respect du moindre détail. Entrées et sorties de scènes vertigineuses, pas de deux où les limites du corps sont poussées à leurs extrêmes, valorisent la méthode de travail adoptée qui a porté ses fruits grâce au travail d’équipe avec la Directrice artistique de la compagnie Tara Birtwhistle et leur maître de ballet.
Il faut relever une autre caractéristique du langage chorégraphique adopté par Guillaume Côté : il réserve aux membres inférieurs les mouvements les plus virtuoses surtout pour les danseuses : toujours sur pointes elles exécutent des pas rapides, des piqués, des développés en guise de flèches, lesquels suivent le rythme soutenu de la musique mais capables aussi de marquer des contretemps musicaux. A cette particularité, la partie haut du corps et les bras répondent avec des gestes plus contemporains, moins codifiés, accompagnés par une grande flexibilité du buste. Vélocité, précision, exactitude rythmique et maintien sans faille de l’effort inapparent au profit de la fluidité générale de la pièce sont encore renforcées par l’absence de décors, par la sobriété des justaucorps soulignant la perfection des corps dansants.
Grâce à ce vocabulaire et à ces lignes impeccables, la tension ne descend jamais jusqu’à ce que la pièce arrive à son terme.
Une danseuse seule est alors sur scène tandis que les lumières faiblissent.
L’émotion ne devait pas être présent mais elle y est sous forme de pulsations que nous avons pu ressentir en regardant la pièce car on est emporté par le dynamisme, la vivacité, la précision et le rythme. La danse n’est pas épargnée et devient presque magique.
La directrice artistique Tara Birtwhistle est très enthousiaste envers ce travail dont les danseurs se sont imprégnés et elle espère retrouver Guillaume Côté, dans leur studios l’année prochaine pour reprendre Phy et présenter cette pièce dans une version plus longue sur scène.
20 Mars 2021 – Antonella Poli