Orphée et Eurydice
Chorégraphie : John Neumeier
Distribution : Ballet d'Hambourg
Musiques : C.W.Gluck
Première européenne à Hambourg à la Große Haus pour Orphée et Eurydice, signée John Neumeier, œuvre créée pour le Joffrey Ballet avec l’opéra lyrique de Chicago en 2017.
Elle s’inscrit dans la tradition de la Gesamtwerk (œuvres totales ) où musique, chorégraphie et mise en scène forment une unité indissoluble, selon les canons de l’esthétique allemande. La tragédie des deux amants, mise en musique par Christoph Willibald Gluck, d’après un des mythes grecs les plus classiques, peut revivre encore aujourd’hui et toucher les esprits. En fait, le travail de John Neumeier s’est concentré sur l’orchestration et l’interaction entre la sauvegarde du livret original et sa vision personnelle, toujours profonde, visant à plonger dans la modernité des chefs d’œuvres de littérature et de la tradition culturelle ancienne.
D’un point de vue historique et musical, il faut préciser que l’Orphée et Eurydice de Christoph Willibal Gluck eut tellement de succès qu’il en existe quatre versions : la première créée à Vienne en 1762, en italien, sur un livret de Calzabigi ; la deuxième à Parme, toujours en Italie, la troisième en 1774 au Théâtre de l’Opéra Royal de Paris, en français et enfin la quatrième, toujours à Paris, conçue par Berlioz en 1859. Les différences sont surtout due au changement du timbre de la voix du chanteur qui interpréta Orphée : des ténors se substituent aux castrats qui au fil du temps n’étaient plus à la mode.
D’un point de vue chorégraphique, la version de Pina Bausch (1975), qui se termine avec la mort conjointe des deux protagonistes, reste célèbre.
John Neumeier reste fidèle à la version française, celle de 1774, où la tragédie a une fin heureuse, les amoureux se retrouvant en vie, et qui se termine par un ballet. Mais comme un deus ex-machina, il actualise la mort d’Eurydice et superpose la figure d’Orphée à celle d’un chorégraphe en train de créer une nouvelle pièce. Eurydice est son étoile. A l’ouverture du rideau, on se retrouve dans un studio de danse où les répétitions sont en cours ; Orphée/chorégraphe a une dispute avec Eurydice /étoile qui part en courant. Malheureusement, un accident de voiture la tue.
Avec un décor contemporain, minimaliste mais qui affiche sur le fond de la scène, se détachant, un des tableaux de la série Ile des morts (1880-1886) du peintre Arnold Böcklin, on rentre dans le traditionnel argument de l’Opéra. La scène est dominée par les deux chanteurs, le ténor Dmitry Korchak et la soprano Andriana Chuchman qui montre, au-delà de ses qualités vocales, une grande maîtrise de ses mouvements, à tel point qu’on pourrait presque la confondre avec une danseuse. Le Ballet d’Hambourg entre en scène de manière bouleversante à l’entrée d’Orphée dans les Enfers : les tableaux conçus par John Neumeier reflètent le rythme puissant de la musique et la condition infâme dans laquelle se trouvent les damnés. Cerbère, le gardien de l’enfer aux trois têtes, est magistralement interprété par trois danseurs, Aleix Martinez, Ricardo Urbna et David Rodriguez. Des scènes très épurées, avec des mouvements fluides, suivent quand Orphée rencontre les esprits blancs avant de pouvoir revoir son Eurydice. La danse crée une seule matière, un seul corps, avec le velours du chant.
Les insistantes provocations d’Eurydice envers son amant qui ne peut pas encore la regarder, faute de la faire mourir, prévalent. Orphée, perd son amoureuse. J’ai perdu mon Eurydice est l’air très célèbre qui marque ce moment.
Mais Amour vient au secours en faisant ressurgir Eurydice. La fidélité doit être primée. Et voilà un autre grand coup du maître Neumeier : son étoile revit et la création du ballet, soudainement arrêtée, peut arriver à sa fin. Les deux principals dancers, Anna Laudere et Edvin Revazov, enchaînent un pas de deux pour célébrer leurs noces, accompagnés d’un grand ensemble festif où les lignes dessinées par les danseurs semblent dépasser les limites de la scène et couronner le rêve d’amour. La résurrection d’Eurydice grâce à l’amour de son Orphée devient métaphore de l’achèvement du processus de création, une histoire peut être personnelle entre John Neumeier et son art.
Hambourg, 16 Février 2019
Antonella Poli