Opéra de Paris : L’Onéguine passionné de Hannah O’Neill et Florent Melac
Chorégraphie : John Cranko
Distribution : Hannah O'Neill, Florent Melac et le Corps de Ballet de l'Opéra de Paris

Hannah O'Neill, Florent Melac-ph.Maria Helena Buckley
Le Ballet de l’Opéra de Paris reprend, du 8 février au 4 mars, le chef d’œuvre de John Cranko, Onéguine, créé en 1965 pour le Stuttgart Ballet d’après le roman d’Alexandre Pouchkine.
Lorsque le chorégraphe découvre le livre au début des années 1950, il est séduit : « Cette œuvre m’a fait une très forte impression parce qu’elle permet de chorégraphier des scènes entières où se côtoient des styles totalement opposés, articulés autour d’un quatuor parfaitement structuré ».
Le 14 février, le premier danseur Florent Melac interprétait le rôle d’Onéguine, avec à ses côtés l’étoile Hannah O’Neill. Les deux autres rôles principaux, ceux d’Olga et de Lensky, étaient interprétés par la danseuse étoile Roxane Stojanov et le danseur sujet Milo Avêque.
Dès son apparition dans le premier acte, Florent Melac fait comprendre au public le caractère de son « Onéguine » : il valorise les nuances requises par son personnage, en mettant surtout en exergue sa personnalité cynique et tourmentée.
Pendant son solo, il transmet les tourbillons de l’âme d’Onéguine, conscient de ne pas pouvoir partager les sentiments de la jeune femme. Hannah O’Neill lui répond avec la finesse de ses mouvements.
- Hannah O’Neill-ph.Maria Helena Buckley
- Florent Melac-ph.Maria Helena Buckley
Roxane Stojanov (Olga) et Milo Avêque (Lenski) apparaissent, parfaitement alignés sur le niveau interprétatif du couple O’Neill-Melac. Les deux jeunes sont des fiancés heureux ; ils dansent avec brio et expriment avec joie les sentiments qu’ils éprouvent l’un pour l’autre. Le moment clé du premier acte est sans doute celui du pas de deux entre Onéguine et Tatiana. Cette dernière est tombée sous le charme du jeune dandy Onéguine et, la nuit venue, ses pensées envers lui l’empêchent de dormir. Elle lui écrit une lettre et en même temps rêve sa passion amoureuse.

Roxane Stojanov, Milo Avêque-ph. Maria Helena Buckley
John Cranko imagine pour cette séquence une chorégraphie riche de portés acrobatiques et de tension.
Les deux interprètes se laissent aller en crescendo dans les bras l’un de l’autre. Soutenus par les sonorités romantiques de la musique, le couple O’Neill-Melac émeut, surtout grâce à la danse passionnée d’Hannah O’Neill qui rayonne par son aura. Dans le final de la scène, on ressent d’une part les vibrations de la jeune fille et d’autre part le subtil abandon d’Onéguine, particulièrement prégnant dans l’interprétation de Florent Melac.

Hannah O’Neill, Florent Melac-ph.Maria Helena Buckley
Alexandre Pouchkine écrit : « Il vint… Ses yeux se dessillèrent, elle se dit : « Je le reconnais. » Dès lors, les rêves solitaires, les journées et les nuits sont à jamais remplies de lui… » (A. Pouchkine, Eugène Onéguine, chapitre troisième, VIII).
Dans le deuxième acte, la personnalité cynique et impitoyable d’Onéguine se manifeste et c’est à ce moment que le crescendo interprétatif de Melac s’acte. Sa présence sur scène s’impose et son corps de danseur vibre au rythme des émotions incarnées.
Après avoir déchiré la lettre d’amour que Tatiana lui avait envoyée, il commence à courtiser Olga, qui accepte ses avances. Il insiste, provoquant la colère de Lenski ; l’affrontement entre les deux hommes est inévitable. Les interprètes, y compris les deux jeunes femmes, rendent avec intensité le caractère dramatique du moment qui conduira Onéguine et Lenski à se défier en duel. Milo Avêque, jeune soliste, est prégnant dans son solo, juste avant le moment de l’affrontement. Son corps dansant est en syntonie avec les notes mélancoliques du violon. Il sent que sa mort arrive. D’un point de vue théâtral, la scène où Tatiana et Olga essaient de dissuader les deux jeunes hommes de s’affronter en duel est également remarquable.

Hannah O’Neill, Milo Avêque, Roxane Stojanov-ph.Maria Helena Buckley
Le troisième acte s’ouvre avec un grand bal où Tatiana est désormais devenue l’épouse du Prince Gremin (Jérémy-Loup Quer) : elle n’est plus maintenant une jeune femme et elle maîtrise sa vie. Le moment central de cet acte est sans doute le pas de deux entre Tatiana et Onéguine. John Cranko imagine aussi pour ce passage des lifts, des portés, des figures qui élèvent et expriment les sentiments des protagonistes. Onéguine essaye en vain de reconquérir le cœur de Tatiana.
Les deux interprètes principaux livrent des images de danse merveilleuses, riches en tension, en émotion et en passion, où ils s’enlacent mutuellement. Leurs corps s’abandonnent et leur sensibilité artistique se dévoile dans toute sa profondeur : Tatiana est capable d’exprimer ses hésitations, animée par les souvenirs du passé ; Onéguine essaie de lui exprimer ses regrets et lui demande pardon. Son désir de convaincre Tatiana de retourner en arrière transfigure Florent Melac, qui apparait complétement métamorphosé. Tatiana l’éloigne définitivement avec fermeté.

Hannah O’Neill, Florent Melac-ph.Maria Helena Buckley
Le rideau tombe sur une soirée passionnante et émouvante.
Opéra Garnier, 14 février 2025
Antonella Poli