Opéra de Paris -Don Quichotte
Chorégraphie : Rudolf Noureev
Distribution : Les étoiles, les premiers danseurs et le Corps de ballet de l'Opéra de Paris
Le ballet de l’Opéra national de Paris présente jusqu’au 24 avril Don Quichotte de Rudolf Noureev.
Les origines du ballet
Si Don Quichotte a inspiré des nombreux musiciens (Telemann, Massenet, Strauss, de Falla et Ravel notamment), c’est aussi un sujet qui a passionné des chorégraphes. Déjà au XVIIIème siècle, Jean-Georges Noverre, père du « ballet d’action s’intéresse au roman de Cervantes : son Don Quichotte, fut représenté au Burgtheater de Vienne en 1767 avec une musique de Starzer.
Mais c’est surtout en Russie – où travaillent les maîtres de ballet français invités des Théâtres Impériaux de Moscou et de Saint-Pétersbourg – que les ballets inspirés de Don Quichotte vont connaître le plus grand engouement : Charles-Louis Didelot – élève du célèbre Auguste Vestris, reprend en 1809, le Don Quichotte hérité de Noverre. Le réel succès du ballet donné pour la première fois le 14 décembre 1869 à Moscou est signé Marius Petipa qui succède à Jules Perrot en 1862 à la tête du Ballet de Saint-Pétersbourg : il s’attaque au sujet et écrit son scénario en se basant sur la tradition de l’intrigue amoureuse de Kitri et Basilio. La musique en est confiée à Ludwig Minkus, chef d’orchestre et compositeur attitré des Théâtres Impériaux. Comme une pièce de théâtre, le ballet avait des personnages bien dessinés et des scènes bien ficelées. Toute la drôlerie venait des quiproquos que, soit Don Quichotte et Sancho, soit Kitri et Basilio ne cessaient de provoquer. La chorégraphie en est très riche. Deux ans plus tard, en 1871, Petipa reprenait le même thème et la même musique, mais Minkus eut la charge de changer certains passages et on modifia l’histoire : un cinquième acte et un prologue furent ajoutés, le personnage de Kitri devenait par moments Dulcinée, et la scène de la « vision » fut introduite. Cette séquence est devenue, depuis, le moment de poésie et de danse « classique » pure de l’ouvrage, notamment comme le sera plus tard l’Acte des Ombres de La Bayadère en 1877.
La version Noureev
Tout jeune, à 21 ans, Rudolf Noureev fut un brillant interprète de Basilio au Kirov de Leningrad (redevenu aujourd’hui Théâtre Mariinski de Saint Saint-Pétersbourg). Ce sera aussi, après avoir choisi de rester à l’Ouest en 1961, l’un de ses rôles fétiches qui met en valeur une autre facette du danseur/ comédien : son esprit malicieux et ses dons comiques. Puis, il remonte l’ouvrage entier, construisant une nouvelle chorégraphie d’après Marius Petipa, pour l’Opéra de Vienne en 1966, demandant à John Lanchbery de procéder à quelques arrangements de la musique de Minkus pour lui donner un caractère plus enjoué.
La version de Noureev révèle avec plus d’évidence la façon dont le chorégraphe règle les grands mouvements sur scène : les numéros espagnols tourbillonnent autour de l’énorme place du village et forment une ingénieuse variété de configurations destinées à montrer les pas caractéristiques de l’Espagne. Le troisième acte est un éloge à la technique de la danse classique grâce aux nombreuses variations réservées aux deux interprètes principaux.
Le Don Quichotte avec les étoiles d’aujourd’hui
Le soir du 16 avril dernier, les étoiles Hannah O’Neill et Hugo Marchand ont fait revivre la passion entre Kitri et Basilio. Les deux étoiles dansaient ensemble ces rôles pour la première fois.
Dès la première scène, sur la place du village, les deux étoiles font comprendre au public que la soirée va offrir un spectacle brillant. Hugo Marchand apparaît dès le début capable d’incarner les caractéristiques de son rôle, sachant maîtriser et valoriser les qualités théâtrales : drôle, ironique, joueur, il s’impose sur scène avec une extrême naturalité. Dans sa gestuelle il n’y a aucune pantomime, il laisse parler son corps avec spontanéité.
Hannah O’Neill lui répond avec sa danse techniquement précise, riche de finesse en montrant aussi son caractère extraverti et ses qualités de femme séduisante qui ne se laisse pas faire face aux avances de son amant vers ses concurrentes. Sa première variation est impeccable. Ce début crée un rythme soutenu qui permet de se plonger pleinement dans l’histoire des deux protagonistes dans les terres d’Espagne. Dans ce premier acte, la variation de Kitri et Basilio est harmonieuse jalonnant l’histoire amoureuse entre les deux amants. Cela est valorisé aussi grâce à la musique qui devient plus mélodieuse et douce abandonnant la vivacité rythmique d’auparavant.
Les scènes d’ensemble si chères à Noureev, sont marquées par Ida Vilkinkoski (La danseuse de rue) et Mathieu Contat (Espada), passionnants et vigoureux pour transmettre la chaleur des atmosphères espagnoles et par les variations des deux amies de Kitri (Célia Drouy et Katherine Higgins) qui calment le bouillonnement instauré sur scène. L’acte se termine avec un grand ensemble entrainant.
Dans le deuxième acte, après la brève parenthèse dédiée au tableau du campement des gitanes, on est toute de suite plongé dans la rêverie de Don Quichotte qui songe à sa Dulcinée idéalisée (Hannah O’Neil), accompagnée sur scène par la Reine des Dryades (Camille Bon) et Cupidon (Aubane Philbert). Les couleurs et l’atmosphère changent totalement : les couleurs pastel des tutus des danseuses remplacent les tonalités rouges et plus chaudes du premier acte, un lieu imaginaire bucolique remplace la place du village espagnol où se déroulait le premier acte. Les trois interprètes principales Dulcinée (Hannah O’Neill), La Reine des Dryades et Cupidon jouent des rôles différents bien précis : la première incarne par sa danse le raffinement ; la deuxième, qui ouvre le tableau, impose son élégance, elle semble véritablement créer cet espace imaginaire de rêve par ses mouvements ; la troisième, vivace et rapide dans ses variations, tente de mener à terme son objectif.
La douceur et l’esthétique de la danse classique nous préparent à l’éblouissant troisième acte.
C’est le moment ou finalement Kitri et Basilio couronnent leur histoire dans une ambiance frémissante. La danseuse de rue imprègne de vitalité l’ambiance avec Espada ; le défilé de variations, des défis techniques réservés à Valentine Colasante et Paul Marque jalonnent la scène entre fouettés, pirouettes, grands jetés. La pièce s’achève dans une atmosphère de fête et le public ne s’abstient pas de manifester tout son enthousiasme.
Paris, Opéra Bastille, 16 avril 2023
Antonella Poli