Opéra de Munich: soirée Duato/Skeels/Eyal
Chorégraphie : Nacho Duato, Andrew Skeels, Sharon Eyal
Distribution : Le Ballet de l'Opéra de Munich
Le Ballet de l’Opéra de Munich présente à partir du 12 avril un triptyque qui a mis à l’épreuve et révélé les qualités des danseurs de la compagnie dirigés par Laurent Hilaire.
Le Ballet de l’Opéra de Munich, à la base de style classique, est formé de 80 artistes chorégraphiques qui ont montré avec ce programme toute leur ouverture et leur capacité à interpréter des styles différents, notamment le néoclassique et le contemporain.
Le spectacle
Le programme s’est ouvert avec White Darkness, pièce créée en 2001 par Nacho Duato pour la Compañía Nacional d’Espagne. Le chorégraphe, touché par la morte de sa sœur, imagine un ballet ou les sentiments de doleur, d’angoisse sont parfois allégés par la recherche de moments plus joyeux ou d’une quête d’espoir. Un symbole ouvre la pièce et il marquera différentes séquences : du sable qui coule du haut du plafond de la scène. En guise de clepsydre, il marque le temps qui défile sur la danseuse principale. Le pas de deux initial fait rentrer le spectateur dans une atmosphère mélancolique et nostalgique. On ressent de la souffrance malgré le langage chorégraphique esthétiquement prégnant qui valorise les lignes des interprètes principales.
D’autres couples et des soli masculins succèdent sur scène à plusieurs reprises créant une coupure : ils dansent de manière plus énergique, même si la chorégraphie reste épurée et ils transmettent une plus grande liberté intérieure en contrastant les états d’âme vécus du couple principale. En fait leurs pas de deux restent intimes et surtout la danseuse semble rester ancrée dans son état de doleur, sans pouvoir s’affranchir. Le final ne laisse pas d’espoir, malgré le temps passé, l’interprète principale se retrouvant encore enfermée dans sa solitude psychique.
La deuxième pièce en programme est la création mondiale d’Andrew Skeels, Chasm. Le chorégraphe américain, basé à Montréal, élabore un style tout à fait personnel, élaboré d’une part du krump et du hip hop et d’autre part de la danse contact, techniques qui lui servent de base pour développer toute sa sensibilité personnelle. En fait, dans toutes ses pièces principales précédentes, de Finding now (Prix du meilleur spectacle du Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre, Musique et Danse de Paris, 2018), à Fallen (création pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève) ou La Rose de Jerico ou bien encore Broken Spectre (création pour le NDT2 en 2022), il arrive a dépasser toute technique pour faire vibrer les corps des danseurs avec leur sensualité et leurs émotions. Sa danse est une danse de sensations qui touchent le public à travers un travail profond avec les danseurs guidés par leurs perceptions.
Pour Chasm le chorégraphe imagine un univers futuriste peuplé par des créatures habillées par des combinaisons moulantes, toutes égales. Certes, la pièce se déroule dans une atmosphère lunaire et sombre où les protagonistes semblent être affligés et perdus. Ils essaient de se rebeller, en restant unis. Cela est tout à fait cohérent avec un des éléments qui caractérise la structure de la pièce : l’attention à l’importance et la cohésion du groupe qui reste dominante du début à la fin. Cela amplifie la puissance des mouvements des bras et le poids des corps qui avancent sur scène marquant leur pas. Par ailleurs, tout le corps est engagé de manière que chacune de ses parties devient le point de départ du développement d’un mouvement successif. De ce fait, la danse dégagée par Chasm a peu de formelle. La matière des corps des danseurs vibre soit dans les parties en groupe soit dans les duos ou dans le soli.
Notamment, dans les duos, les interprètes se rapprochent, se touchent, s’entrelacent, transportés par leurs sensations et par l’exploration du corps « autrui ». Leurs échanges charnels sont tellement réussis au point d’avoir l’impressions de voir un sol danser. Ce sont des moments forts qui font émerger les qualités corporelles des danseurs. La création musicale d’Antoine Seychal aux sonorités ténébreuses accompagne la détresse.
Autodance de la chorégraphe israélienne Sharon Eyal clôt la soirée. La pièce fait défiler les danseurs en demi-pointes tout au long de la pièce. A différence de la pièce précédente, Autodance se limite à une vision formelle des corps qui apparaissent comme des silhouettes ou des mannequins animés. Seulement par moments la chorégraphie devient plus variée en impliquant une gestuelle plus riche.
Cette soirée nous a permis de découvrir les talentueux danseurs du Ballet de l’Oépra de Munich et leur capacité à incorporer des styles de danse plus contemporains.
Munich, Opéra, 12 avril 2024
Antonella Poli