Onéguine

Chorégraphie : John Cranko

Distribution : Ballet de l'Opéra national de Norvège

Musiques : Tchaïkovski

ph.Erik Berg

Le Ballet national de Norvège retrouve son public à l’Opéra d’Oslo en lui offrant une toute nouvelle production de Onéguine de John Cranko, un joyau du répertoire pour sa richesse dramatique et chorégraphique. Ingrid Lorentzen, directrice de la compagnie, est très heureuse de présenter ce chef d’œuvre et reconnaissante envers tous ceux qui ont contribué au succès de la soirée.

Lorsqu’au début des années 1950, le chorégraphe découvre le roman d’Alexandre Pouchkine, il est séduit : « Cette œuvre m’a fait une très forte impression parce qu’elle permet de chorégraphier des scènes entières où se côtoient des styles totalement opposés, articulés autour d’un quatuor parfaitement structuré ».

Et quelques décennies plus tard, en 1983, Maurice Béjart s’exprime ainsi : « Je pense au génie de John Cranko, dont le rayonnement est resté vivant. Il existe peu de grands créateurs dans le monde de la danse. Par créateurs je n’entends pas seulement les inventeurs de pas, d’enchaînements et de formes nouvelles, mais des hommes de théâtre au sens fort du terme, qui, à travers la danse, savent parler de l’homme et nous faire rire et pleurer en montrant nos joies, nos peines, nos amours, nos rêves. Cette dimension shakespearienne est aujourd’hui si rare dans le monde du ballet ».

 Le ballet met en scène un chassé-croisé tragique entre quatre jeunes personnages : Onéguine, dandy désargenté et représentant des mondanités pétersbourgeoises ; son ami Lenski, poète pétri de littérature allemande ; la douce Olga Larina, la fiancée de ce dernier et enfin Tatiana, sœur d’Olga et rêveuse en quête d’elle-même. Elle est l’héroïne du roman : « Il vint…Ses yeux se dessillèrent, elle se dit : « Je le reconnais. » Dès lors, les rêves solitaires, les journées et les nuits sont à jamais remplies de lui… » (A. Pouchkine, Eugène Onéguine, chapitre troisième, VIII). Cette phrase résume l’intensité des sentiments qui animent la jeune femme.

En réalité, on pourrait penser que Pouchkine aurait mieux fait d’intituler son poème du nom de Tatiana, car elle est une femme forte, avec les pieds sur terre, profonde et plus généreuse qu’Onéguine.  Elle est accablée et brisée par la vie pétersbourgeoise et elle en souffre. Elle déteste son rang de dame du monde et ne se laisse pas faire. Quand Onéguine voudra la reconquérir, ce sera trop tard car elle est déjà l’épouse du Prince Gremin et lui restera fidèle.

Les raisons de la réussite de cette nouvelle production sont d’une part l’interprétation en crescendo des danseurs du Ballet national de Norvège et d’autre part les décors et les costumes de John-Christian Alsaker et de Ingrid Nylander.

Melissa Hough (Tatiana) est remarquable dès le premier acte pour savoir mettre en avant toutes les facettes de son personnage. Elle est la femme amoureuse lorsqu’elle écrit sa déclaration d’amour à Onéguine et la dame qui est capable d’abandonner toute sa faiblesse et ses sentiments anciens quand elle refuse les avances de son amant de jeunesse qui l’avait tant blessée. Le pas de deux dans la chambre de nuit caractérisée par une chorégraphie complexe, riche de lifts et de portés, lui offre la possibilité de montrer ses qualités techniques et de valoriser la maîtrise des aspects psychologiques de son personnage : innocence, espoir, rêve d’un amour qui lui semble encore possible.

La métamorphose a lieu dans le troisième acte : désormais elle n’est plus une jeune fille et elle maîtrise sa vie au prix de  l’abandon de ses passions. A ses côtés le jeune danseur Ricardo Castellanos, qui a dû remplacer le danseur principal prévu pour la distribution de la première, doit s’immerger dans le rôle complexe d’Onéguine en seulement une dizaine de jours. 

Il est cynique, il joue avec les femmes, Olga et Tatiana, jusqu’à provoquer le duel  avec Lenski (Lucas Lima) après avoir séduit Olga (Natasha Dale).

Si dans le premier acte, il semble encore être dominé des aspects techniques de la chorégraphie plutôt que laisser émerger son interprétation, celle-ci murit tout au long de la pièce pour offrir une prestation superbe dans le troisième acte qui constitue le moment fort du ballet. 

Ici, le contraste entre les personnalités de Tatiana et d’Onéguine augmente. Les deux interprètes principaux écrivent des images de danse merveilleuses, riches de tension, d’émotion et de passion. Leur sensibilité artistique se dévoile dans toute sa splendeur. Tout le corps de ballet est parfait surtout dans les scènes d’ensemble, fastueuses, notamment dans celle du mariage entre Tatiana et le Prince Gremin.

Opéra d’Oslo, 30 Avril 2022

Antonella Poli

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