Mycélium

Chorégraphie : Christos Papadopoulos

Distribution : Ballet de l'Opéra de Lyon

Musiques : Coti K (Costantino Luca Rolando Kiriakos)

Ballet de l'Opéra de Lyon-ph.Agathe Poupeney

Le Ballet de l’Opéra de Lyon, sous la direction de Cedric Andrieux, renouvelle sa collaboration avec la Maison de la Danse à l’occasion de la 20ème Biennale de danse de Lyon dirigée par Tiago Guedes.

Le propos

La soirée met à l’honneur, en ouverture, une création de Chistos Papadopoulos, Mycélium.

On comprend par ce titre que la pièce reste fidèle à la thématique du vivant chère au chorégraphe. Attentif aux vols en nuée des oiseaux ou aux volutes tourbillonnantes d’un banc de poissons, il a noté la cohésion de leurs évolutions régies en tant que système par des lois sous-jacentes.

Cette régulation biologique fascinante concerne ce soir le domaine terrien de la nature. Le chorégraphe entend rendre visible les phases concernant le cycle des champignons, lié au développement de rhizomes d’où partent des extensions filamenteuses, constituant par ramification un réseau actif de nutrition et d’échanges avec l’humus environnant ; ce système fongique étant susceptible de grandir et de coloniser d’autres plantes ou arbres ou de périr et s’éteindre.

Cette vie souterraine est suggérée par la danse, par la mise en mouvement de ces entités aux capacités transformatives -de la croissance à la mort- objectivant de manière métaphorique et poétique ce qui se passe à l’insu conscient de l’œil humain tout en saisissant les moments princeps du développement organique.

Le ballet

Les qualités interprétatives des artistes sont vivement sollicitées mais, dans cette production, leur savoir académique et figures contemporaines hautement techniques, habituellement très appréciées du public, sont ici absentes. La virtuosité est ailleurs, les danseurs et danseuses doivent composer un groupe homogène à la compacité extrême, gommant tout discernement individuel jusqu’à unifier l’existence d’une multitude d’organismes en identification à la vie végétale.

La musique électronique, conçue par Coti-K, soutient étroitement tout au long de la pièce les évolutions organiques et les micro-étapes des changements.

Les interprètes, dans un costume simple vert foncé, apparaissent un à un dans un halo lumineux, accompagnés d’un bruit sourd de grondement.

Petit à petit, le réseau micellaire se forme, par rapprochement, par attraction et adhésion jusqu’à devenir une masse. Car il s’agit, précise Christos Papadopoulos dans une interview, non pas d’une juxtaposition de solo et d’une situation de contiguïté, mais bien de la perception individuelle de soi et de la présence des autres jusqu’à un état d’intégration – incorporation qui serait dû à l’effet d’une « colle invisible qui connecte les individus par accords réciproques » ; il en résulte « l’entité mouvante de Mycelium ».

Ballet de l’Opéra de Lyon-ph.Agathe Poupeney

Cette collusion corporelle indistincte oscille sur scène, mue par une sorte de piétinement dont la cadence et la permanence restent quasi indéfectibles tout au long de la pièce ; le collectif est alors soudé dans une pulsation motrice répétitive quasi hypnotique.

La compacité organique, dans une évolution lente et continue, est animée de mouvements indicibles segmentaires : ondulations souples des mains et doigts, hochements de tête, élévation d’une épaule, tressautements d’un pied…, toujours de manière synchrone et solidaire, ciblés par un éclairage furtif.

La matière organique primitive, bien vivante, bouge spatialement de manière imperceptible ; la danse se fait discrète, sans artifice émotionnel, par des micro-décalages et rotations encore organisés ; puis l’unisson groupale se distend, se déforme, amorce des entités dissidentes qui montrent des envies d’expansion.

Entre fusion et confusion, entre scission, resserrement et prolifération, les tensions s’exercent dans une énergie positive qui émane du système biologique lui-même. Jusqu’à former deux sous-groupes autonomes -ou plus- pris dans une même vibration, tout en révélant un certain potentiel.

Des mouvements chorégraphiques interactifs envahissent le plateau, occasionnant par vague des bras tendus comme des filaments, des accroches physiques qui cèdent, des transformations qui s’accumulent ; en somme des corps puissants dans le défi, en lutte pour l’existence… mais soumis à la même régulation de l’espèce.

On est proche de la conception d’un microcosme inséré dans un macrocosme qui influencerait par un rayonnement universel les lois de la nature. La vitalité pulsionnelle ralentit, la lumière faiblit comme la rythmicité collective de fond, et le groupe survivant évolue vers une finitude annoncée, imparable et implacable.

La force du mouvement chorégraphique fléchit, telle une boule qui se rétrécie et dont la densité devient une ombre qui s’éloigne.

Le temps irréversible du déclin est souligné par un accompagnement musical particulier qui se termine par un long son continu ; il est celui qu’on entend quand, en réanimation, les battements cardiaques erratiques enregistrés sur l’écran d’un scope se terminent par un tracé plat continu signant l’arrêt définitif de la vie.

Un silence emplit la salle, vite suivi d’applaudissent fournis.

Opéra de Lyon, 12 septembre 2023

Jocelyne Vaysse

 

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