Meguri
Chorégraphie : Ushio Amagatsu
Distribution : Sankai Juku
Au-delà des fondateurs du butô T. Hijikata et K. Ohno initiant une « danse des ténèbres » teintée d’une certaine morbidité rapportée à la tragédie d’Hiroshima et imprégnée de shintoïsme, la compagnie Sankai Juku exclusivement masculine créé et dirigée par Ushio Amagatsu depuis 1975 offre un butô contemporain en résonance avec l’esthétisme et la spiritualité.
Meguri est une célébration du monde où co-existent le minéral, le végétal, l’aquatique, l’aérien et l’humanité. Mais cet humain, qui rencontre la matière et le vivant, est en osmose avec la Nature et s’intègre à ses manifestations évolutives. Sept tableaux s’enchainent évoquant un trajet non pas linéaire mais circulaire, soutenu par les sons mélodieux de Akira Aikawa.
Un mur-décor dressé en fond de scène et incrusté de fossiles marins ou herbacés pré-préhistoriques est balayé par des faisceaux lumineux d’un bleu profond ou rougeoyant ou pâlissant qui projettent aussi des cercles colorés – forme sacrée – sur le plateau où évoluent 8 danseurs.
Leurs corps glabres lissés, cranes rasés, vêtus d’amples jupes claires effaçant genre et sexualité, laissent entrevoir lors de postures virtuoses et de pirouettes au sol un filet de tissu couleur de sang ; tout en émettant, bouche ouverte, des cris muets.
Ils ondulent et se déplacent autour d’un espace central dont les bords cernent l’infini de l’océan ou l’étendue du sable. Les danseurs – trio, quatuor, solo…- le traversent du dehors au dedans, et inversement, liant ainsi métaphoriquement les mondes extérieur et intérieur, comme la danse unit le corps de chair et l’esprit doté d’une conscience et d’un savoir ancestral.
Le blanchiment n’affadit rien. Au contraire. Il transcende la réalité charnelle musculeuse et la beauté des expressions dansées ; il induit une idée de virginité propice à une nouvelle incarnation ou autres visions imaginaires et sublimées, aidant le spectateur à substituer – peut-être – aux noirceurs existentielles, l’apaisement.
Leurs corps entre tension et détente progressent dans un subtil équilibre et acceptent la gravité pour mieux tournoyer et cheminer avec rapidité et agilité. Surtout, les gestes ralentis jusqu’à l’immobilité, les pas glissés jusqu’à l’arrêt, les figures répétées jusqu’à la suspension ne sont pas inertie mais un état dynamique qui affine la perception de ces mouvements caractéristiques du Butô.
« Lenteur et précision sont des actions qui optimisent la relation entre le corps et la conscience » nous enseigne Amagatsu*.
Leurs corps en vibration, traversés par l’énergie cosmique selon les cultures asiatiques, frissonnent par moment, invitant à nous associer ou – mieux – à nous incorporer dans et à cette expérience.
Car c’est aussi là la prouesse de cette chorégraphie qui fait sens ; elle pénètre la sensibilité des spectateurs et sonde l’inconscient ; elle les entraine dans un espace-temps collectif, archétypal, mis au jour et mis en danse.
Paris, Théâtre de la Ville, 29/6/2016
*AMAGATSU, U. (2000), Dialogue avec la gravité, Paris, Edition Actes Sud