L’anatomie de la sensation
Après Genus en 2007 inspiré par la pensée de Darwin, Wayne McGregor crée sa seconde chorégraphie pour l’Opéra national de Paris. Cette nouvelle création intitulée L’anatomie de la sensation s’inspire de l’univers et des textures des tableaux du peintre Francis Bacon. Interprétée par les danseurs du Ballet de l’Opéra national de Paris, la pièce tend à repousser les frontières du mouvement et de la perception. Interrogeant les possibilités physiques de ses interprètes, qu’il pousse à l’extrême, il trouve dans les oeuvres du peintre une résonance à sa propre recherche chorégraphique.
Lorsque Wayne McGregor découvre l’oeuvre de Francis Bacon, c’est pour lui » un choc « . » Elle produit des sensations brutes « , explique-t-il, » Le monde de Francis Bacon est pure forme, pure couleur et pure tension. » Cri, spasme, torsion, convulsion des corps suppliciés, mouvements difformes ou absence radicale de figure… le monde de Bacon est un monde très physique et viscéral avec lequel je peux travailler facilement et créer, » poursuit-il, » dans un flot continu de mouvements, de tensions, de torsions, de juxtapositions et de fractures physiques qui débordent dans toutes les directions les limites de la sensation. Comme la danse, sa peinture est un langage direct où les couleurs qu’il appréhende de façon abstraite sont en relation avec l’espace. C’est pourquoi je ne cherche pas à illustrer son oeuvre, encore moins à la reproduire sur scène, mais à en faire sentir la nature et l’intelligence, je cherche à connecter le public avec elle « .
La pièce est structurée en huit mouvements qui permettent au chorégraphe de disséquer (voir l’étymologie latine du mot anatomie) et récréer son univers propre de sensations et perceptions corporelles. Des tableaux énergiques et puissants, comme le premier dansé par Jérémie Bélingard et Mathias Heymann alternent avec d’autres plus harmonieux comme le sixième, un pas de deux entre Jérémie Bélingard et Aurélie Dupont, ou bien emblématiques, comme le deuxième, un solo de Marie-Agnès Gillot, qui interprête une femme sombre s’interrogeant sur sa propre féminité. Sa gestuelle est aussi parfois inquiétante, son corps se détend puis se rétrécit aussitôt, assumant formes irrégulières et contractées.
Le cinquième mouvement nous apparaît dans un esprit jazz des plus « classique »: la musique s’adoucit et prend du rythme, la chorégraphie s’éloigne un peu du vocabulaire habituel de McGregor pour adopter des mouvements de la danse jazz.
De nouvelles perceptions de l’espace et des silhouettes des danseurs nous sont données par le septième mouvement où un tamis crée une barrière imaginaire entre le public et la scène. Les jeux de lumières ne nous font guère apercevoir qu’une danse d’ombres.
La musique contemporaine de Mark Antony Turnage (1960), s’inspire également de Francis Bacon, plus précisément du tableau Blood on the floor. Pleine d’énergie et très contemporaine, aux couleurs orchestrales puissantes elle est interprétée par l’Ensemble Intercontemporain et quatre solistes de jazz dans un espace conçu par l’architecte minimaliste John Pawson.
Paris, Opéra Bastille, 2 Juillet 2011