La nouvelle Carmen d’Abou Lagraa

Chorégraphie : Abou Lagraa

Distribution : Ballet de l'Opéra de Tunis

ph.David Bonnet

La découverte de la dernière création d’Abou Lagraa, Carmen, suscitait la curiosité, d’autant plus que le chorégraphe n’avait pas présenté une nouvelle pièce depuis cinq ans. 

Abou Lagraa est un danseur et chorégraphe d’une sensibilité exceptionnelle. Il a pu développer sa carrière de chorégraphe grâce aux résidences de production à Annonay (1999-2004) et à Bonlieu, Scène nationale d’Annecy, en tant qu’artiste associé (2004-2008).

Parmi ses premières grandes aventures artistiques, il faut rappeler la création du Premier Ballet Contemporain d’Alger et la création de la compagnie La Baraka en 1997. En 2011, il obtient le Grand Prix du Syndicat de la critique la Critique avec Nya ; dans la saison 2015-2016, il est artiste associé à la Maison de la Danse de Lyon et en février 2018 s’installe dans la chapelle désacralisée Sainte-Marie à Annonay, sa ville natale.  Ce lieu historique devient ainsi un studio de danse ouvert à l’accueil des résidences chorégraphiques d’artistes, permettant aussi des échanges fructueux entre les danseurs et le public de la ville d’Annonay.

Et c’est au Théâtre Jean Vilar, dans le cadre du festival Suresnes Cités Danse, d’accueillir sa nouvelle pièce, Carmen, avec les danseurs du Ballet de l’Opéra de Tunis.

Le Ballet

Le ballet a ses origines dans une version moderne de l’opéra créée au Théâtre de l’Opéra de Tunis en 2024, dont Abou Lagraa avait conçu la mise en scène et la chorégraphie. Le spectacle, d’une durée de 2h45, avait réuni les danseurs du Ballet de l’Opéra de Tunis, l’Orchestre Symphonique Tunisien et le Chœur de l’Opéra de Tunis avec plus de 100 artistes et chanteurs solistes sur scène.

C’est la Directrice du Ballet de l’Opéra de Tunis qui a proposé à Abou Lagraa la création d’un ballet, s’inspirant de la version plus longue.

La musique de George Bizet de 1875 est maintenue, surtout en sélectionnant les airs principaux, mais l’esprit change totalement par rapport à l’œuvre du compositeur français et aussi par rapport à une autre célèbre Carmen, celle du chorégraphe Roland Petit, plus proche de l’opéra original.

En effet, nous remarquons sur scène non pas une seule Carmen, mais six comme le nombre des danseuses. Le propos d’Abou Lagraa est de présenter Carmen comme symbole des femmes, des femmes fortes, libres, capables de s’affirmer avec leurs personnalités. La structure chorégraphique du ballet valorise cet aspect : chaque danseuse se produit dans des soli avec des gestes fluides et envoutants. Leur force est exprimée surtout à travers la mobilité des bustes et des bras.

Les Carmens d’Abou Lagraa ne se limitent pas à être sensuelles, elles reflètent l’esprit de femmes qui vivent libres grâce aux choix politiques adoptés en Tunisie, plus ouverte par rapport à d’autres pays musulmans. L’idée du chorégraphe trouve une parfaite correspondance dans les sentiments des danseuses. Et face à Carmen, le personnage de Don José a un rôle paritaire et est incarné par plusieurs danseurs.

ph.David Bonnet

Les soli sont intercalés de scènes d’ensemble où les éléments du style singulier d’Abou Lagraa, mêlant la danse contemporaine à une gestuelle libre et plus expressive, s’amplifient grâce à la puissance et l’énergie dégagées par les interprètes pour atteindre ce que le chorégraphe identifie dans son film, La République des sens (2019), comme « L’état de la danse ».

A la différence de l’argument de l’opéra original de Georges Bizet, le final de Carmen n’est pas tâché de sang : une convivence passionnelle s’instaure entre les hommes et les femmes.

On salue l’originalité de cette œuvre et l’engagement des danseurs du Ballet de l’Opéra de Tunis, qui ont été formés pour cette création par Nawal Aït Benalla afin d’intégrer et rendre sur scène les intentions et le style du chorégraphe.

Carmen porsuit sa tournée à la Maison de la Danse de Lyon du 18 au 21 février prochains.

Suresnes, Théâtre Jean Vilar, 26 janvier 2025

Antonella Poli

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