La Figure du gisant
Chorégraphie : Nathalie Pernette
Qu’aurait pu penser le philosophe Erwin Panofsky en assistant à la dernière création de Nathalie Pernette, La Figure du gisant ? Lui qui avait fait de la sculpture funéraire et en particulier des gisants l’objet d’une de ses œuvres les plus reconnues, La sculpture funéraire : de l’ancienne Égypte au Bernin, aurait été en partie bouleversé.
En fait, sur la base de son analyse historique, la caractéristique de base du gisant était celle de rendre une image complétement allongée ; même les vêtements du défunt devaient faire en sorte de reproduire de manière la plus réaliste possible cette position d’immobilité.
Cet attribut a particulièrement attiré Nathalie Pernette qui a commencé à s’interroger sur comment sa danse pouvait s’approprier et s’inspirer de cette absence absolue de mouvement.
La figure du gisant, d’une part est le dernier spectacle de la saison de Monuments en mouvements, d’autre part est le premier volet d’Une pierre presqu’immobile, un nouveau projet auquel la chorégraphe est en train de se consacrer.
Le public est accueilli par un passeur ressemblant à un moine au portal du bras droit du transept. Il le conduit à l’intérieur de la Basilique de Saint Denis, lieu riche d’histoire (plus de 70 rois et princes de France y sont enterrés) et qui dégage de par son architecture imposante toute la grandeur que l’on voulait attribuer à la religion pendant le Moyen âge. Le sens du mystère y est tout à fait présent. La pièce commence avec les danseurs allongés par terre, dans le respect des théories de Panofsky. Contrairement aux prestigieux défunts figés dans les gisants présents dans l’église, les interprètes sont habillés avec des tuniques très simples et modestes, premier signe de distinction.
Lentement leurs jambes commencent à s’animer, à se plier ; à côté de chacun un drap, comme celui que l’on retrouve dans les images religieuses du Christ sortant du sépulcre. Ils se lèvent en le prenant pour nous conduire avec leur danse dans un univers d’outre-tombe. Est-ce un nouveau miracle ? Doucement le public est conduit vers l’espace où se trouve la tombe de Louis XII et Anne de Bretagne, une sculpture qui consacre la grandeur de ces deux personnages. A ce moment, la danse devient plus prégnante, les danseurs avec la forte gestualité expressive de leurs mains et de leurs visages, parfois troublants, contrastent avec la paix qui émane des visages des deux illustres personnages de l’élégant gisant, élément constitutif de la scénographie. Bien que les mouvements des danseurs soient marqués et amples, leur qualité est telle que la chorégraphie devient de plus en plus intense et en même temps « silencieuse » pour le respect des morts. On peut avoir l’impression que Nathalie Pernette a été capable de nous faire voyager en arrière d’autant plus que les mêmes danseurs auraient pu être des anciens défunts du moyen âge, ressortis de leurs tombes pour revivre une autre vie. Le sens de mystère et l’atmosphère sombre et douloureuse qui historiquement caractérisaient cette époque sont tout à fait présents.
Mais autrement, pourquoi ne pas penser aussi aux âmes des illustres rois présents dans la basilique qui finalement à travers la danse, auraient pu trouver un moment pour s’exprimer en toute liberté, libérés de tous leurs riches vêtements et honneurs, redevenant ainsi de simples êtres humains ? La question pourrait rester ouverte, mais La figure du gisant est une très belle pièce, qui confirme la valeur symbolique de la danse et plus en général des arts. Et sur ce point Panofsky, élève de Cassirer, aurait pu être d’accord.