La Bayadère de Noureev au Théâtre alla Scala de Milan
Chorégraphie : Rudolf Noureev
Distribution : Les étoiles, les premiers danseurs et le Corps de ballet du Théâtre alla Scala de Milan
Musiques : Ludwig Minkus
La Bayadère, ultime ballet de Rudolf Noureev créé pour le Ballet de l’Opéra national de Paris en 1992, retourne sur les scènes du Théâtre alla Scala de Milan du 26 mai au 21 juin avec la supervision chorégraphique de Manuel Legris, directeur du ballet du théâtre milanais.
A l’origine de la nouvelle production
En décembre 2021, Manuel Legris, à peine depuis un an directeur du Corps de Ballet du Théâtre alla Scala de Milan, présentait pour ouvrir la saison 2021-2022 une nouvelle production de La Bayadère de Rudolf Noureev. A l’époque, beaucoup des danseurs de la compagnie étaient encore touchés par la pandémie de la Covid -19, malheureusement les distributions furent réduites autant que les interprètes principaux
Les danseurs qui purent participer assurèrent sur scène en montrant tout leur engagement dans un moment si difficile pour le spectacle vivant. Malheureusement, cette nouvelle production ne put briller comme elle le méritait malgré la rigueur et la dévotion engagées par Manuel Legris, attristé et préoccupé par des performances, en dessous du niveau attendu compte tenu des raisons évoquées.
…et en 2024
Le soir du 26 mai, la Bayadère est de retour sur scène. Cette fois, une autre atmosphère entoure l’attente du spectacle. Dans le rôle principal de Nikiya, Nicoletta Manni (qui avait dansé aussi en 2021) peut consolider son titre d’étoile, avec à ses côtés le premier danseur et mari Timofej Andrijashenko (Solor).
L’étoile du Théâtre alla Scala, déjà remarquable pour ses qualités techniques a acquis une maîtrise majeure de son personnage. Son interprétation s’avère plus intense, les sentiments liés à la profondeur de son âme apparaissent de manière plus claire dès la première variation au temple.
Timofej Andriashenko la suit et il attire notre attention. Il a une belle présence sur scène et techniquement il montre un vrai saut en avant, assurant son rôle de guerrier. Le couple Nikiya-Solor tombe amoureux mais ils doivent cacher leurs sentiments car Solor est destiné à marier la fille du Rajah Gamzatti. Nous avons eu une autre surprise de la soirée, la première danseuse Alice Mariani qui interprète Gamzatti, la future épouse de Solor.
La tension monte lors de la rencontre entre Nikiya et Gamzatti où la première essaye de poignarder sa rivale, et dans ce passage les deux danseuses sont exceptionnelles : d’une part Nikiya défend avec sincérité son amour spirituel pour Solor exprimé par sa gestuelle et d’autre part, Gamzatti n’a aucune pitié pour atteindre son objectif : éliminer sa rivale. A noter qu’Alice Mariani, nommée première danseuse en 2022, a une forte personnalité et une bonne technique (son interprétation dans le rôle principal de Sylvia quand elle était sujet montra tout son potentiel), ses caractéristiques ont été confirmées. Dans la coda du deuxième acte elle enfile les fouettés qui célèbrent la cérémonie des fiançailles avec Solor.
La tragédie de Nikiya est inévitable, empoisonnée par un serpent caché dans la corbeille de fleurs offerte par Gamzatti.
Le troisième acte s’ouvre avec la merveilleuse apparition des vingt-quatre danseuses dans le Royaume des Ombres : elles défilent en arabesque, en apparaissant une à la fois une à une sur scène : c’est le rêve de Solor, endormi par les effets de l’opium après la disparition de Nikiya. Nous retrouvons la dimension onirique qui marque tous les ballets de Noureev. Cette représentation du Royaume des ombres nous renvoie aussi au rêve de Don Quichotte. : ainsi l’inconscient d’une part, et d’autre part le désir charnel de la figure féminine se conjuguent dans les tableaux des deux ballets.
Nous n’oublions pas l’ensemble du Corps de Ballet qui, désormais sous la direction de Manuel Legris, est devenu la vraie force de la compagnie dégageant harmonie, perfection et esprit de cohésion. Le ballet se termine dans le Royaume des Ombres avec le pas deux entre Nikiya et Solor : ce n’est que dans ce monde imaginaire que les deux jeunes peuvent s’unir et retrouver leur harmonie et Nicoletta Manni et Timofej Andrianshenko ne font que amplifier l’atmosphère enchantée.
Les représentations se succèderont jusqu’au 21 juin prochain avec des différentes distributions qui permettront de valoriser les premiers danseuses et danseurs ainsi que les solistes du ballet dans les rôles principaux de Nikiya, Gamzatti et Solor : notamment Gaia Andreanò, Martina Arduino, Linda Giubelli, Maria Celeste Losa, Alice Mariani, Virna Toppi, Marco Agostino, Nicola de Freo, et dans les soirées du 12 et 14 juin l’étoile internationale Kimin Kim.
Mais dans quel esprit sera la compagnie ? Si en 2021, la Bayadère avait été marquée par le COVID, en 2024 un autre événement l’a perturbé.
L’annonce de Manuel Legris
Manuel Legris, deux jours après la première, lors de la conférence de presse de présentation de la saison 24/25, a annoncé qu’a la fin de la prochaine saison il quittera la Direction du Ballet. Cela fait suite sûrement à la nomination du nouveau « Sovraintendente » (le mot qui désigne le Directeur général du théâtre milanais), Francesco Ortombina qui remplacera Dominique Meyer.
Ce dernier a travaillé pendant dix ans à Vienne avec Manuel Legris, puis à Milan. Leur collaboration étroite et l’amitié qui les lie aurait été une des raisons du départ de Manuel Legris.
Mais certainement, les autorités communales et nationales, notamment le ministère de la Culture italien ne se sont pas appliqué à prolonger le contrat avec un Directeur de ballet d’une si grande envergure.
Fidèle au travail en studio avec ses danseurs, à la transmission de son patrimoine, héritier direct de Rudolf Noureev, Manuel Legris a su conduire une compagnie et l’a fait grandir, d’une part d’un point de vue technique et d’autre part créant la cohésion du groupe. Aujourd’hui le futur reste incertain et il se joue entre deux étoiles italiennes : Roberto Bolle, l’étoile internationale, grandi au Théâtre alla Scala et Eleonora Abbagnato, ex-étoile de l’Opéra de Paris et actuellement Directrice du ballet de l’Opéra de Rome. Les choix nationaux s’affirment. Espérons seulement que la compagnie ne soit pas trop perturbée dans son travail quotidien et dans la préparation de la nouvelle saison qui s’annonce très riche. Découvrez-la!
Milan, Théâtre alla Scala, 26-28 mai 2024
Antonella Poli