Inging

Simon Tanguy, lauréat du concours Danse élargie en 2010, s’inspire de la performance de Jeanine Durning, danseuse chorégraphe et enseignante à New York et en Europe, ayant produit Inging en 2010.

Dans le cadre de cette version inédite du Festival Faits d’Hiver, au Théâtre des Abbesses, Simon Tanguy en reprend le concept : les mouvements de pensée dominent l’action chorégraphique, il se livre et se limite à des associations parolières spontanées pendant 45 mn, sans écrits ni compositions préalables. Cette règle de liberté expressive lui permet aussi d’effleurer la réalité de la situation artistique due à la pandémie virale de la Covid 19.

Ainsi, c’est paradoxalement en pleine après-midi de la semaine que le public – quelques invités et journalistes de danse- est reçu au théâtre des Abbesses.

Simon Tanguy, assis à une table, nous invite à le rejoindre sur scène et à occuper des chaises dispersées autour d’elle. Si bien que nous sommes face à une salle vide, faute de danseurs à visionner (du aux consignes sanitaires), et que nous devenons incidemment sur le plateau (comme) des interprètes involontaires, par nos réactions, du solo performatif. Il s’exprime. Comme un conférencier.

S’il existe des « gestes-ressource », comme il le rappelle, son jeu majeur est dédié à la parole et non aux pas dansés se résumant à quelques figures ébauchées.

Une logorrhée puissante envahit déjà l’espace, nous interpellant quant à « notre sensation du monde qui s’est raccourcie, rétrécie et d’un passé qui s’éloigne ». Il est question du cerveau qui ne s’arrête jamais, du silence comme parole, du remplissage des TGV et autres préoccupations actuelles ou rêveries méditées à voix haute, accompagnés de quelques postures de yoga empêtrées dans la chaise pour, finalement, s’en dégager et virer au grand écart au sol, ce « super geste artistique », « qu’il faut avoir ».

Faire une pause, une farandole, dans la rue ? Cultiver les secrets, les livrer… Et la jalousie ? demande Simon Tanguy qui déambule maintenant entre les chaises, se cramponne un instant à un rideau noir, et poursuit son monologue : « les autres…, nous autres…, et les absents… »

Le flot parolier déborde ; le flux s’accélère encore, accumule les coqs-à-l ’âne trahissant une pensée qui parait dissociée ou des idées qui s’égarent, alors que -en fait- les thématiques humaines défilent, abruptement. Le ton change et l’élocution évolue, truffée de « r » roulé, gênée par un zozotement, ou par un bégaiement tenace, transformant l’atmosphère ambiante. Il récite à genoux, bafouille, implore Jésus bras en l’air, se faufile en chaloupant entre les quelques spectateurs et déclare une envie de vivre… « Tu n’as qu’à…, ta qu’à…, ta ka, ta ka, ta ka…te ré-inventer » profère-t-il alors que nous pivotons sur nos chaises pour le suivre des yeux sur le plateau et que nous émettons des rires étouffés. Le brassage d’un quotidien ordinaire, du moi et du ça freudien, du présent et du passé, et le nom de quelques grands penseurs et philosophes (Damasio, Nietzsche, Arendt…), livrés pêle-mêle dans le discours, sollicitent nos désarrois, notre imaginaire et nos désirs.

Retour à la table-bureau. L’énergie déployée se calme. Le performeur s’accroche aux accessoires contemporains qui paraissent autant vitaux que dérisoires : son ordinateur (projetant en fond de scène deux personnages en conversation muette) et une pile de livres usés (de psycho-sociologie, philosophie) pour -sans doute- guider les esprits.

Puis, son corps s’immobilise et le silence s’installe. Durablement.

Alors qu’il range tranquillement ses livres et son portable, ce sont les applaudissements qui mettent fin à la représentation.

Et la danse, « dans tout ça » ?… Car, elle est aussi langage dans la modalité non verbale. Le croisement textuel de Inging avec le corps dansant dans ses « dires » classiques ou contemporains, nous aurait consolés d’un manque criant de cet art depuis un an, par temps de pandémie…

La performance réside en cette sagacité langagière, verbale et ininterrompue, provocante et métaphorique. Elle nous renvoie en miroir à la destinée de nos vies et nous offre l’opportunité d’y réfléchir. Ou de l’infléchir.

Tous, unanimement, nous apprécions et saluons l’audace de Inging.

Festival Faits d’Hiver, Théâtre des Abbesses, 22 Janvier 2021

Jocelyne Vaysse

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