Gravité
Chorégraphie : Angelin Preljocaj
Distribution : Baptiste Coissieu, Leonardo Cremaschi, Marius Delcourt, Léa De Natale, Antoine Dubois, Clara Freschel, Isabel García López, Véronique Giasson, Florette Jager, Laurent Le Gall, Théa Martin, Víctor Martínez Cáliz, Nuriya Nagimova
Musiques : Maurice Ravel, Johann Sebastian Bach, Iannis Xenakis, Dimitri Chostakovitch, Daft Punk , Philip Glass, 79
Angelin Preljocaj a marqué l’histoire de ces trente dernières années ans de danse. Son regard de chorégraphe qui puise dans la danse classique tout en lui donnant des tournures contemporaines a été l’un des points de force de son succès et a apporté à ses pièces une valeur novatrice.
Même pour ses ballets les plus narratifs, le chorégraphe a toujours su apporter sa réflexion et sa vision pointue des histoires en les transformant en images dansées.
Cette année, dans le cadre de la 18ème Biennale de la danse de Lyon, Angelin Preljocaj a créé Gravité, pièce pour treize danseurs où le chorégraphe interroge le concept physique de manière surprenante.
« Gravité parle de la gravitation, c’est exactement ce à quoi je suis confronté depuis 30 ans. Que peux le corps, et là je me réfère à Spinoza, que peux un corps face à une gravité ? La nôtre on la connait, mais la question de ce spectacle est d’imaginer des gravités différentes ; comment rendre par un travail d’écriture chorégraphique, de recherche, par un travail avec les danseurs, comment rendre des sensations de gravité autres que la nôtre, c’est comment rendre par un travail musculaire et du mouvement des sensations liées à des gravités différentes », explique Angelin Preljocaj.
Tous ces propos sont mis en application et le résultat est surprenant. Le public n’est pas déçu car le travail de recherche autour de ce thème est riche et l’on sort du spectacle épaté ; la preuve en est le standing ovation qui lui est réservé.
En fait, on retrouve là une florissante créativité ; le langage chorégraphique produit des images d’une extrême beauté et pureté. Il ne s’agit pas de définir ce ballet comme seulement abstrait, car derrière lui se cache un profond questionnement sur la gravitation, une des quatre forces fondamentales qui régissent l’univers.
Les danseurs magnifiques défient la gravité avec leurs équilibres en attitudes jouées en slow-motion, s’engagent dans la reproduction de contrepoids précis et calibrés, comme pour chercher de nouvelles formes d’opposition aux forces gravitationnelles.
La pièce se déroule à travers des tableaux caractérisés par des séquences musicales hétérogènes, en allant de la musique baroque (J.S. Bach), à Ravel, à des compositeurs plus contemporains (Iannis Xenakis et Dimitri Chostakovitch, Philip Glass) jusqu’aux rythmes plus électroniques des Daft Punk.
Chaque tableau représente un chapitre et livre en images de possibles interprétations sur comment le comportement humain peut être influencé par la gravité. Des séquences où les corps des danseurs semblent ressentir le poids qui les domine alternent avec d’autres où ils s’imposent avec des mouvements dominés par la vitesse, par des chutes au sol soudaines, par une gestuelle plus saccadée. Dans ce tourbillon de danse avec des dynamiques différentes, Angelin Preljocaj nous fait cadeau de magnifiques duos, où l’attraction entre homme et femme est questionnée de manière plus figurative en surpassant la recherche d’un seul sens physique.
En ces moments, son écriture chorégraphique est très fluide, ponctuée d’accents sensuels et sexuels qui valorisent les rapports entre les corps. Les rapports spatiaux musicaux sont aussi mis en jeux à travers la création de tableaux plus géométriques où les danseurs dessinent l’espace suivant des lignes parallèles ou des diagonales, enrichies par des portés aériens.
Gravité nous réserve une autre surprise : une réinterprétation chorégraphique du Boléro de Ravel. Cette séquence, qui est imaginée en interrogeant les forces d’attraction qui dominent une masse de corps, représente dans la partie finale du spectacle un coup d’éclat. Les danseurs, regroupés de manière compacte, tous en cercles, créent une seule et unique entité. Leurs ports de bras fluctuants dessinent des mouvements ondulatoires qui coupent l’air. Ce qui est extraordinaire dans ce tableau, c’est la qualité d’une gestuelle très homogène et incisive, sans aucune bavure et rythmée précisément sur les notes de la musique de Ravel pour faire ressortir toute la puissance des corps.
Le final est apaisé, dominé par des mouvements plus éthérés où les danseurs retrouvent en slow-motion le sol, s’abandonnant. Dans la danse, et plus en général dans notre vie quotidienne, nous sommes confrontés à cette force de l’univers : Angelin Preljocaj arrive avec cette création remarquable, selon les principes de la philosophie de Spinoza, à nous donner de nouvelles manières de « penser le corps avec le corps ».
TNP, Lyon, 23 Septembre 2018
Antonella Poli
Gravité en tournée: