Full Moon
Chorégraphie : Joseph Nadj
La 44ème édition du Festival Montpellier Danse accueille le danseur chorégraphe mais aussi plasticien et photographe Josef Nadj avec sa création Full Moon.
Né dans l’ex-Yougoslavie, Josepf Nadj parcourt l’Afrique, revient en Europe et en France où il est promu Officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres en 2011, directeur du Centre chorégraphique national d’Orléans de 1995 à 2016, retrouve son indépendance en fondant sa propre compagnie Atelier 3+1 à Paris en 2017, et vit actuellement à Budapest (Hongrie). Ce nomadisme et son esprit cosmopolite sont remarqués par Jean-Paul Montanari. D’autant plus que la pièce proposée par Josef Nadj rassemble des danseurs du Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire, Burkina Faso et Congo Brazzaville, la plupart étant en exil en Europe et que le chorégraphe opte pour un aspect syncrétique des rites et traditions issus de cette terre africaine « des origines ».
La création a bénéficié d’un accueil en résidence des artistes à l’Agora, cité internationale de la danse à Montpellier, dont le titre initial Quand la lune se lève est rebaptisé Full Moon.
La pièce
Un bruit sourd et continu de fond, un spot lumineux ciblant une silhouette improbable – Josej Nadj en personne -, et voilà le public de l’Opéra Comédie transporté dans un univers insolite : cet être tordu, genoux pliés et tête masqué, agite ses mains, les croise et décroise fébrilement, étend ses bras et s’éclipse, nous laissant dans l’incertitude, aiguisant l’imaginaire.
Plusieurs hommes, en pantalon gris usé et torse nu, font irruption sur le plateau et, par déplacements, rapprochements et coordination, en viennent à former un groupe bien humain, sans cependant parvenir à s’imposer puisque l’étrange apparition capte à nouveau la lumière lunaire, refoulant dans l’ombre les sept interprètes.
Cette sorte d’alternance va se déployer au fil de la pièce. Des trajets de vie, des contraintes et espoirs, des pensées profondes se profilent en filigrane. D’un côté un être curieux au visage dissimulé qui observe, et de l’autre les danseurs africains enclins à exposer la beauté sculpturale de leurs corps, la saillance musculeuse des dos et torses, la force des membres.
Cette masse vivante engage des séries de sautillements et de gestes cadencés, mues par une énergie inépuisable. Puis les danseurs se dispersent, livrent des figures libres issues du contemporain et d’un martellement insistant du sol issu des danses de tradition, au gré de rythmes percussifs, variés, soutenus, jusqu’à induire une transe. Ils se resserrent, unis dans une compacité agile remarquable.
Sauts, rebonds, gestes circulaires ou saccadés, improvisations, ondulations et déhanchés du bassin, toute partie du corps déclenche une mobilité magnifique et des évolutions en chœur. Comme accomplir telle tâche commune obligeant à frapper, tirer, enfoncer ; comme participer à une célébration rituelle accompagnée de cris unanimes.
Un silence soudain, et c’est le retour du personnage invisible, probablement un ancêtre, un « masque » qui s’invite ou que l’on appelle, une déité incarnée qui surveille. Mais la danse reprend, frénétique, souple, déterminée.
Finalement, la communauté des hommes se décident à encercler le personnage, le hisse sur leurs épaules, le reconnaît en tant que masque muni d’un bâton de pouvoir d’où s’échappe une fine poudre… Qui permettrait des transformations, des conscientisations intérieures ? Sur une musique enjouée et jazzy, c’est une manifestation certaine de l’au-delà par la voie des esprits, des anciens et des sages de tous les villages qui veillent et protègent les siens. Et toute l’humanité…
Le public applaudit, la magie est terminée… Mais non ! elle agit encore… Les artistes reviennent, tous porteurs de ce masque – archétypal – surmonté de bonnets informes, s’éloignant malicieusement avec des au-revoir de la main. A la grande joie des spectateurs.
Montpellier, Opéra Comédie, 25 juin 2024
Jocelyne Vaysse