D’un rêve
Chorégraphie : Salia Sanou
Distribution : Cie Mouvements Perpétuels
Dans le cadre du 41ème Festival Montpellier Danse, le chorégraphe burkinabé Salia Sanou, fondateur de la compagnie Salia nï Seydou, commente dans sa création D’un rêve, son projet fondé sur le rêve conçu de manière générale et sa réalisation en tant que « comédie dansée ». Si le terme renvoie à la comédie musicale, il exige l’intrication formelle sur scène, jusqu’à l’osmose de la danse avec la voix (4 chanteuses), la musique de Lokua Kanza et les textes de Gaël Faye et de Capitaine Alexandre, grand lecteur de Aimé Césaire et de René Char (Fureur et Mystère). Tous ces apports sont aussi autant d’éléments diachroniques relatifs au passé esclavagiste et à la traite négrière, à la mémoire collective plongeant dans leurs racines, jusqu’aux tragédies racistes contemporaines.
Mais cette création, d’abord dramaturgique, vire à la « tragi-comédie » du fait du parti-pris assumé de Salia Sanou de s’éloigner des larmoiements au profit de l’investissement d’un « ré-enchantement » humaniste et de perspectives (plus) fraternelles. Tout au long de sa pièce et véritable fil conducteur, il en appelle à l’individualisme réfléchi du « Je », mais ouvre et insiste sur la volonté et l’efficacité plurielles du « Nous ».
Salia Sanou rapporte des faits avec une sobriété poignante, se concentrant sur la force des mots prononcés à l’occasion d’émeutes raciales : le discours de Martin Luther King, I have a dream, un « rêve d’humanité », prononcé à Washington en 1963 ; le cri asphyxié de George Floyd, I can’t breath, assassiné à Minneapolis par un policier en 2020. Précédant ces courts extraits vidéo, les chanteuses a capella accompagnent un groupe compact de danseurs dans un balancement statique à l’unisson. Puis quelques-uns s’écartent et s’expriment par des postures dansées alors que ces paroles glaçantes « pendu hier, écrasé au sol aujourd’hui », « nous n’avons plus d’air » soulignent la réalité de l’oppression et assurent qu’il faut continuer la marche vers la liberté, vers la dignité.
Une musique percussive s’impose afin d’entretenir et de soutenir des mouvements cadencés et des gestes répétitifs d’allure ordinaire et fonctionnelle, de déplacer des outils et d’oser des pancartes de résistance. Il s’agit, à l’infini, de ramasser, rassembler, transporter de lourds ballots dans les champs de/du coton… qui recouvre et blanchit le plateau, de dénoncer l’asservissement exercé dans les plantations par des Blancs Nord-américains avides de pouvoir. Les scènes vibrantes s’enchainent avec des marches décidées, des attitudes cinglantes improvisées, des torses noirs virils sculptés et puissants.
Diverses évocations à la fois, traditionnelles, nostalgiques et rythmées, ponctuent les temps libératoires ; jusqu’à la chanson populaire, unique et quasi-universelle, de Joan Baez, we shall overcome…, un jour nous vaincrons, un jour nous serons bien… , très applaudie par le public.
Une ambiance jazzy nous propulse en « boite de nuit », colorée par des néons suspendus aux formes kitch, convoquant nos souvenirs. Des bandes joyeuses aux déhanchés nerveux, chaloupés, envahissent l’espace, nous invitant finalement à les rejoindre – en rêve – avec quelques figures de rock acrobatique de nos jeunesses.
Les séquences afro-jazz mélangent les pas toniques du modern jazz, la souplesse des accents africains et les passages en slow motion, électrisant l’ambiance dans l’immense salle du Corum. Deux sous-groupes pris de trémulations se rejoignent. Traversées speed du plateau, frénésie pulsionnelle en masse ou en ligne se produisent, dopées par le son du tam-tam. Ramer, piocher, trépigner et exulter mettent les corps en transe, pour s’achever avec les poings en l’air – image mythique fugace de protestation – dans un enthousiasme général.
Salia Sanou vient saluer et remercie ses artistes qui, ensuite nous incitent chaleureusement à danser ensemble. Quelle communion réussie !
Montpellier, Corum, 8 Juillet 2021
Jocelyne Vaysse