Dialogues II, charme au Théâtre des Champs-Elysées

Duet from a sort of-ph.Erik Berg

La soirée, intitulée Dialogues II, deuxième édition de Dialogues démarrée en 2021, reliée au programme Transcendanses présenté au Théâtre des Champs-Elysées, consacre la rencontre d’éminents chorégraphes comme Mats Ek, Samantha Lynch, Akram Khan, Sharon Eyal et de danseurs renommés, chargés chacun de créer un « pas de deux ».

Dialogues II réalise un éventail de cinq nouveaux pas de deux mettant en scène de courtes histoires de dix à quinze minutes, selon des formes chorégraphiques contemporaines aussi fastueuses qu’inventives.

Des duos exceptionnels

Mats Ek, chorégraphe suédois internationalement connu, inaugure la soirée avec Duet from a sort of, extrait de la pièce A sort of créée en 1997, confrontant Johnny Mc Millan et Clotilde Tran (Staatsballett Berlin).

Elle est cette jeune femme qui fait irruption sur le plateau, dont la jupette jaune vif virevolte à la marche, il est cet homme en costume noir qui soulèvera inopinément ce vêtement. De l’audace ?  Au son d’une cloche et sur une musique de Henrick Gorecki, il s’en suit un duo marqué par l’espièglerie, avec des poursuites à pas allongés, des caresses effleurées et des portés malicieux remarquablement initiés par l’un et par l’autre en translatant avec dextérité et de manière coulée leur force et résistance. Leurs jeux effrontés d’allure enfantine se terminent par un pistolet en plastique vert braqué sur l’homme par la femme au geste mutin projetant une brume d’eau. Noir dans la salle et rires du public.

Le pas de deux Couch conçu par la chorégraphe et danseuse étoile Samantha Lynch, présenté pour la première fois en France, convoque Anaïs Touret et Douwe Dekkers (Ballet de l’Opéra national de Norvège) et… un banal canapé. En sweat et pantalon noirs, aussi ordinaires que ce sofa usé beige-jaune à deux places, ils se rejoignent.

Couch-ph.Erik Berg

Loin d’être sagement assis, ils se cherchent et se trouvent avec habileté et humour, se séparent, entament une brève course et se retrouvent. Sur des notes sonores de l’Arlésienne de Georges Bizet, c’est ainsi l’occasion interactive d’engagements turbulents, de contorsions et multiples cabrioles dansées – de l’amour à l’empoignade -, de pseudo-disparitions magiques « dessus – dessous » le sofa, pour finalement s’évanouir comme absorbés par ce mobilier. 

Le ton et l’émotion changent radicalement avec Akram Khan, chorégraphe anglais né d’une famille originaire du Bengladesh, cultivant la danse classique et le kathak indien. Il présente pour la première fois en France le troisième pas de deux de la soirée, fabuleux Mud of Sorrow qui s’appuie sur sa pièce emblématique Sacred Monster interprétée par lui-même et Sylvie Guillem en 2006.

L’obscurité du plateau est trouée par un étroit cône de lumière révélant, dans une ambiance quasi mystique, la présence d’Aishwarya Rau (Akram Khan Dance Company) et de Claudio Cangialosi. Leurs gestes souples et fluides, les déplacements doux et portés inédits, les frémissements des corps et quelques brèves postures d’allure yogique glissent dans la lenteur, la grâce et la volupté ; dans la nostalgie et la douleur aussi à l’évocation dansée suggérant l’invisible et les êtres disparus ; des instants animés et poétiques emplis de ferveur et de tendresse sont liés à des souvenirs heureux. Toutes séquences soutenues par des chants et arrangements musicaux de Nina Harries et Raaheel Husain.

Mud of sorrow-ph.Erik Berg

Une atmosphère de prière sacrée et d’espace cosmique transcende la beauté des évolutions de ce duo uni jusqu’à l’osmose, terminant sur une ouverture bras tendus vers le public.

 La chorégraphe Sharon Eyal adapte un pas de deux exclusivement masculin en s’inspirant de sa pièce Into the Hairy (co-auteur : Gai Behar) sur une partition musicale électronique très rythmée du britannique Koreless.

Johnny McMillan et Juan Gil (S-E-D Sharon Eyal – Gai Behar Dance Company), leggings noirs et torses nus musculeux, se veulent fiers et imposants par des attitudes affirmées, un brin affecté, et des approches sensuelles sans véritable contact. Avec humour ou ironie, ils hésitent entre la demi-pointe du classique faute de pointes et le pied libre du contemporain, exagérant  à la marche le cambré du dos, le rebondi du fessier et le déhanchement du bassin ; ils se livrent à de nombreuses et variées traversées de plateau, expriment en des styles différents une vivacité instinctive, en notant l’expression corporelle libérée et décalée de la danse gaga chère à Sharon Eyal, due à l’israélien Ohad Naharin, directeur artistique de la Batsheva Dance Company où elle a dansé. Tous moments ancrés dans une belle exigence autant technique que sublimée.

Si Mats EK a démarré la soirée, il a aussi le privilège de la clôturer avec un cinquième pas de deux émouvant Duet from A Cup of Coffee présenté pour la première fois en France, créé pour le Ballet de l’Opéra royal de Suède en Février 2025. Le choix des interprètes, dans la maturité, la splendide Ana Laguna, septuagénaire, danseuse internationalement connue et primée (et épouse de Mats Ek) et le danseur acteur Yvan Auzely, ajoutent encore à l’émotion de les revoir, sur une musique de Anders Hillborg.

Duet from A Cup of Coffee-ph.Erik Berg

Une femme en âge et en robe noire austère pousse sur scène un chariot de service pour l’heure du thé, décidée à la partager avec « son » homme plutôt réticent. Monsieur rampe au sol, s’allonge sur un banc et refuse la boisson, se redresse et saute, enclin à une drôlerie mouvementée, tire brusquement la nappe du chariot et fait voler la vaisselle, ramassée consciencieusement par Madame. Cette image attachante du vieux couple en crise probablement routinière, aux gesticulations théâtralisées et maitrisées, apaisées par un baiser délicat calmant l’arrogance masculine, amuse beaucoup l’audience, heureuse des retrouvailles avec des interprètes aussi prestigieux.

 Le salut final réunissant les artistes des cinq duos est très applaudi, à la hauteur des audaces chorégraphiques et des sophistications dansées généreusement accomplies, tel un condensé de l’excellence de la danse contemporaine internationale.

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 25 Avril 2025

Jocelyne Vaysse

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