Cy Twombly Somehow-But Behind the Bridge

Chorégraphie : Marie Chouinard, Natalia Horecna

Distribution : Les Ballets de Monte Carlo

Jean-Christophe Maillot a donné carte blanche à deux chorégraphes pour cette Soirée Créations présentée au Grimaldi Forum de Monte Carlo du 27 au 30 avril dernier. Deux sensibilités chorégraphiques féminines se sont confrontées : d’une part celle de Marie Chouinard, qu’on ne présente plus et qui ne cesse d’étonner le public depuis quarante ans avec sa vision de la danse très charnelle, d’autre part celle de Natalia Horecna, jeune artiste slovaque, qui avait déjà créé en 2015 une œuvre pour les Ballets de Monte Carlo.

Le choix de programmer deux créations si contemporaines s’inscrit, comme l’affirme Jean-Christophe Maillot, directeur des Ballets de Monte Carlo, dans l’ouverture du travail chorégraphique de sa compagnie. Se confronter à des langages différents devient porteur d’une richesse artistique tant pour les danseurs que pour le public.

On attendait la création de Marie Chouinard, chorégraphe qui a toujours travaillé le pouvoir expressif du corps jusqu’à ce que la matière physique de ses interprètes acquière de nouvelles formes qui dépassent la nature humaine.

Cette fois, « la sacrée Marie » s’inspire particulièrement du peintre américain Cy Twombly, d’où justement le titre de sa pièce Cy Twombly Somehow. Les références à cet artiste son évidentes si l’on considère le résultat esthétique de ce ballet. Deux facteurs mènent à cela. En premier lieu, le fait que les danseurs n’ont pas des vrais costumes, leurs corps devenant des toiles de peinture. Des coups de pinceau blancs, qui rappellent certains tableaux de Cy Twombly, les habillent. Puis une scénographie épurée, constituée seulement par des toiles blanches qui s’éclairent au cours de la pièce de différentes couleurs aux tons des peintures de l’artiste.

D’un point de vue chorégraphique, Marie Chouinard ne démentit pas son langage tout en s’ouvrant à la formation néoclassique des danseurs des Ballets de Monte Carlo. Elle ose pousser les capacités expressives de leurs corps jusqu’à introduire les pointes pour des danseurs. Accompagnés par la musique de Louis Dufort, faite de bruits et de sons sans une vraie mélodie, deux mondes sont contraposés sur scène : d’une part un univers sauvage peuplé de fauves avec des corps qui se transfigurent par des mouvements similaires à des contorsions, d’autre part une communauté qui ne sort pas des rangs et qui reste fidèle à un langage chorégraphique plus académique représenté par des tendus, des pliés, des retirés. Il n y a aucun contraste entre ces deux visions, ce qui donne à cette pièce une valeur ajoutée très originale qui nous laisse dans un état d’étonnement bienveillant. 

La deuxième pièce de la soirée, But behind the bridge de Natalia Horecna, paraït bien évidemment moins surprenante si on la compare à la précédente. Avec cette création, la chorégraphe désire aborder des interrogations universelles, intimement liées à la nature humaine : « Quand allons-nous cesser de nous pointer du doigt les uns les autres ? Que pouvons-nous faire, chacun de nôtre coté, pour contribuer à la possibilité d’un monde meilleur ? Quel espace accordons-nous à notre propre conscience pour naître à la vie ? Au fond, nous connaissons-nous vraiment ? ». L’image de l’enfant syrien retrouvé mort sur la plage de Bodrum en Turquie en 2015 est aussi source d’inspiration pour la chorégraphe.

La charge importante de ces questionnements est rendue  par une chorégraphie qui alterne des moments dramatiques à d’autres plus légers. Le langage épuré laisse l’espace à l’expression des sentiments interprétés par les danseurs avec intensité, surtout si l’on tient compte des scènes qui rappellent les tragédies des migrants dans la Méditerranée.

La recherche d’une écriture abstraite mais prégnante de Marie Chouinard et celle plus liée à un style néoclassique narratif de Natalia Horecna ont ouvert au public un large horizon de réflexion sur deux visions opposées de la danse. On peut préférer l’une ou l’autre, toutes les deux ou aucune ; reste le travail remarquable des danseurs des Ballets de Monte Carlo qui ont su s’adapter et restituer de manière véritable deux univers chorégraphiques éloignés l’un de l’autre et aussi de celui auquel ils sont normalement confrontés.

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