Contes Immoraux Partie 1 – Maison Mère
Chorégraphie : Phia Ménard
Distribution : Compagnie Non Nova
L’Agora de Montpellier accueille Phia Ménard, fondatrice de la Compagnie Non Nova en 1998, après un passé artistique éclectique, dont celui de la jonglerie. Familière d’un travail avec des éléments, c’est dans le cadre d’une exposition d’arts plastiques « Documenta 14 » à Kassel (Allemagne) que la performance « Maison mère » a été présentée en Juillet 2017, précédée d’une invitation en 2016 sur le thème « Apprendre d’Athènes ».
La performance Maison Mère s’inscrit dans le projet global Contes immoraux qui sera finalisé en 2019 avec Temple Père et La Rencontre Interdite .
Le nom de sa compagnie Non Nova est une sorte d’introduction au spectacle qui nous est présenté, rappelant le précepte « Non Nova, sed nove / Nous n’inventons rien, nous le voyons différemment », suggérant des processus de transformation, dont l’artiste lui/elle-même en est l’exemple dans un cheminement identitaire engagé dans sa féminisation.
C’est une bâtisseuse déterminée, à l’allure guerrière, qui accueille le public, bottée, cloutée, gantée, à la courte jupe en cuir. Munie d’un crochet, elle s’attaque à un vaste plan en carton posé sur le plateau sous la forme de pièces « à découper selon le pointillé » ; elle s’affaire, déambule avec de retentissants bruits de bottes rappelant certaines démonstrations totalitaires. Progressivement les pièces du « puzzle » sont détachées et vont s’assembler.
Rampant sous ces grandes plaques encore à terre qui se soulève lors de son passage, elle extirpe des tiges métalliques d’échafaudage. Dans un bruit de chaines, de poulies, de ponçage et de tronçonneuse…, des murs s’élèvent, maintenus consciencieusement par de larges rouleaux de scotch ; puis Phia s‘acharne, avec force, à faire basculer l’édifice à-venir, à monter le 4ème pan mural, à coincer sur ses épaules – tel Atlas supportant le monde – la construction instable, au risque de l’effondrement.
C’est un travail de forçat pour parvenir à réaliser une maison de misère, de celle que l’on voit dans des bidonvilles ou des favelas partout dans le monde qui, bien que de guingois et rafistolées, abritent une grande partie de l’humanité. Etayage de fortune, adjonction rageuse de scotch et obstination n’empêchent pas l’écroulement d’une partie de l’édifice au point d’ensevelir la maçonne déterminée, l’ouvrière besogneuse, la femme consciencieuse, dans un fracas assourdissant auquel succède un lourd et long silence. Angoisse. Attente… Un bruit strident de scie, insupportable, vient rassurer le public.
Emprisonnée dans ce qui reste de l’édifice, Phia perce une ouverture, une échappatoire… Démolir, Survivre, Reconstruire ?
Les « murs » sont découpés verticalement, si bien que surgissent sous nos yeux des colonnes…réalisant un temple fictif à l’image du Parthénon d’Athènes. La métamorphose est aussi saisissante que la métaphore. C’est alors qu’une pluie de cendres, de poussières et des trombes d’eau s’abattent sur la maison d’Athéna, ravageant aussi bien d’autres abris qui sont les tentes de fortune de migrants et réfugiés de toute époque.
Le carton détrempé, amolli, cerné par une énorme flaque d’eau qui s’étend, n’est plus qu’amoncellement chaotique, à l’instar des images fixées dans toutes les mémoires des villes en ruine à l’issue de la deuxième guerre mondiale ou encore de l’attentat terroriste éventrant les Twin Towers de Manhattan… Les exemples sociaux, politiques ne manquent pas.
Phia immobile, accroupie, contemple le désastre en même temps qu’elle le dénonce ; puis elle déambule impuissante autour des ruines alors qu’une épaisse fumée blanchâtre envahit la scène et les gradins.
Nous, spectateurs, contraints d’assister à d’irrémédiables destructions et témoins, sommes englobés dans ce drame. Il est celui d’une humanité qui fabrique son malheur et… son destin.
Jocelyne Vaysse