En compagnie de Nijinsky
Chorégraphie : Jean-Christophe Maillot, Jeroen Verbruggen, Marco Goecke, Johan Inger
Distribution : Les Ballets de Monte-Carlo
Musiques : Ravel, Debussy, Karl Maria von Weber, Strawinsky
Il reste toujours immortel et inoubliable, lui qui avait changé la vision de la danse avec les Ballets Russes. Le spectacle d’ouverture du Monaco Dance Forum, En compagnie de Nijinsky, parle clair. Les multiples facettes du danseur chorégraphe y sont représentées à travers deux créations, Aimais-je un rêve de Jeroen Verbruggen et Petrouchka de Johan Inger et avec deux reprises, Daphnis et Chloé de Jean-Christophe Maillot et Le Spectre de la Rose de Marco Goecke.
Il s’agit d’un programme très riche qui rend hommage de manière très vivante à la mémoire du génie russe. En fascinant le public, les quatre chorégraphes, chacun avec sa propre vision et sensibilité contemporaine, nous présentent des univers différents et impriment leur regard d’aujourd’hui sur des œuvres anciennes.
Daphnis et Chloé, de Jean-Christophe Maillot, ouvre la soirée à l’Opéra Garnier de Monte-Carlo. Ce ballet de 2010, remonté par la muse du chorégraphe Bérénice Coppetiers qui créa le rôle de Chloé, reste intemporel. La naissance du désir, les étapes de la connaissance amoureuse y sont rendues avec une telle finesse que l’on ressent toute l’émotion d’une première rencontre entre amoureux, les peurs, les hésitations. Il s’agit d’un parcours d’initiation aux sentiments, imaginé à travers des duos apparemment sans difficultés techniques particulières mais qui requièrent une parfaite syntonie entre les danseurs pour faire ressortir le souffle de leur aspiration. Simone Tribuna (Daphnis), Anjara Ballesteros (Chloé), Matèj Urban (Dorcon) et Marianna Barabàs (Lycénion) ont fait revivre cette « pastorale », résultat d’une relecture pointue de la part de Jean-Christophe Maillot. L’originalité de cette pièce est due aussi aux dessins d’Ernest Pignon-Ernest projetés sur un écran : des épaules, des hanches, des bras pour représenter la nudité des corps sans montrer sur scène aucune vulgarité.
Aimai-je un rêve, de Jeroen Verbruggen, s’inspire de l’Après-midi d’un Faune, pièce célèbre surtout pour avoir mis à nu et réinterprété la figure du danseur masculin. Le chorégraphe belge réussit à créer douze minutes d’une intensité émotionnelle profonde. Son approche originale vise à éliminer dans cette création toute théorie du genre. Deux créatures sont sur scène, elles se découvrent, luttent. Il y a une alchimie tout à fait particulière entre les deux danseurs des Ballets de Monte-Carlo, Alexis Oliveira et Benjamin Stone. Une belle énergie se dégage sous la forme d’une attraction réciproque. Ces corps sans identité se retrouvent et s’attirent, ils se laissent aller, c’est vraiment magique.
Le Spectre de la rose, de Marco Goecke, confirme le style saccadé tant prisé par le chorégraphe. Ce dernier ne l’abandonne pas, même si le sujet de ce ballet nous ferait plutôt penser à une atmosphère plus légère, idéalisée, plutôt qu’à des dynamiques impulsives, un langage chorégraphique à la fois répétitif et puissant qui dépasse toute attente.
Petrouchka, de Johan Inger, d’après Michel Fokine et Alexandre Benois, se révèle une surprise de par son originalité. Le chorégraphe suédois se plonge directement dans le monde « fashion » pour réinventer le personnage de Petrouchka. Des mannequins inanimés, qui semblent ne pas avoir d’âme, essaient de s’affirmer et de se libérer… L’idée plaît beaucoup : un monde basé sur les apparences est décrit avec ses principales caractéristiques. Des défilés sont remontés sur scène, toute la vacuité du monde de la mode est représentée de manière nette. C’est une très belle allégorie et aussi un grand défi d’aborder sous ce point de vue une pièce si pleine d’histoire et de notoriété en gardant les principes caractérisant l’ancien ballet. La pièce se déroule à travers différentes vignettes, chacune illustrant la vie d’un atelier de mode. Entre stylistes, tailleurs, tailleuses, coiffeuses, maquilleuses et modèles, il s’agit aussi de condamner la futilité de ce monde.
La présence de l’Orchestre philarmonique de Monte-Carlo, dirigé par Kazuki Yamada, sublime la soirée, valorisant les pièces musicales de Ravel (Daphnis et Chloé), Debussy (Aimai-je un rêve), Karl Maria von Weber (Le Spectre de la Rose) et Strawinsky (Petrouchka).
Le public pourra s’émerveiller encore « En compagnie de Nijinsky » du 8 au 10 février 2019 au Théâtre des Champs Elysées, spectacle présenté dans le cadre de la saison 2018-19 de Transcendanses.
Opéra Garnier Monte-Carlo, 08/12/2018
Antonella Poli