A un endroit du début
Chorégraphie : Germaine Acogny
Distribution : Germaine Acogny
Musiques : Fabrice Bouillon « LaForest »
Germaine Acogny n’a jamais dissocié la vie et la danse en tant qu’expression directe des idées et des émotions. Avec elle, le corps dansant est quasi-sacralisé, initiatique : il honore les dieux ; il entre en transe, assume la communication avec les esprits et les rites formels ; il absorbe les chocs issus de l’esclavage, du colonialisme et de l’acculturation. Rappelons ses pièces : Waxtaan (2007) sur l’identité africaine, Faagala (2004) où le corps qui « sait crier sans crier » s’immobilise 1mn en hommage aux victimes du génocide rwandais.
Notons aussi que ces représentations coïncident avec la « Semaine de la Femme » pendant laquelle l’Hôtel de Ville de Paris invitait et soutenait une délégation d’Afrique Noire témoignant du « viol, arme de guerre » massacrant les femmes et, par elles, la vie sociétale.
Germaine Acogny s’appuie sur son corps mémoriel, modulé par la tradition et la modernité, par son trajet de vie familial et professionnel. Confrontée à l’imprégnation trans-générationnelle et surtout à ses origines, elle revient « à un endroit du début, à l’endroit d’où je viens, aux ancêtres, à ceux qui m’accompagnent », à la condition des femmes africaines entre soumission et émancipation ; situation déjà abordée avec le metteur en scène franco-allemand de sa pièce Mikaël Serre, jusqu’à discuter des héroïnes de la Grèce Antique, drame humain qui se rejoue… sans fin ?
Assise au sol… Récitante… Debout, tournoyante, gestuellement volubile, incarnant une divinité-python du Bénin… Hiératique ou accablée dans un vaste fauteuil… . Avec son sens poétique tendre ou acide, par mots énoncés et mouvements dansés, elle chemine et délivre des messages. Ainsi apparait Germaine alors qu’une vidéo défilant en fond de scène campe le contexte et personnifie son discours par projection de portraits familiers. Elle ré-anime sa grand’mère, prêtresse animiste vaudou béninoise ; son père, administrateur colonial, passant des gri-gri au christianisme ; sa mère Aloopho et sa gratitude pour elle et sa naissance « Germaine Marie Pentecôte Salimata » édictée avec force. Elle évolue fièrement et dit que « le pouvoir se transmet de femme en femme » mais que la femme « est l’espèce la plus misérable dans le monde ». Elle dénonce la polygamie imposée par son père à sa mère, ajoutant avec humour que « le mari, un bien qu’on partage » peut être « l’inconvénient de la monogamie ! ». Se déclarant « incapable de supporter les co-épouses », elle évoque brièvement la rupture de son 1er mariage et les enfants.
Ces choix artistiques (Paris, New York…) n’empêchent pas un esprit militant. Elle affiche sur un T-shirt de face « Welcome to Europe » et par une pirouette « Now Go Home » ; elle entre dans une colère qui vole littéralement en plumes (d’un oreiller éventré). Elle suit à pas sautillants un cercle blanc qu’elle a tracé au sol, s’enduit le visage de cette poudre farineuse qui contraste avec sa peau noire, puis elle se cale dans le fauteuil. Réminiscences… . Elle a lu Mein Kampf à l’Ecole Normale de Gorée (Dakar), elle frôle ses bras et songe – peut-être – aux phrases introductives de son solo, dont « … La Terre est la propriété de tous… ».
J’entends, je vois, je vis à la fois un discours de femme, une évocation de sa filiation, une espérance dans la transmission. Qui prend encore plus de poids quand on sait qu’elle a porté une danse moderne liant cultures africaines, traditionnelles, européennes, après avoir assisté M. Béjart puis dirigé Mudra-Afrique soutenu par L.S. Senghor. Aujourd’hui, la danse contemporaine s’enrichit de sa créativité qui nait dans son « Ecole des Sables » Internationale à Toubab Dialaw (aux environs de Dakar) et se déploie par le monde avec sa compagnie Jant-Bi.