Le Chant des ruines de Michèle Noiret
Chorégraphie : Michèle Noiret, David Drouard
Dans le monde chorégraphique belge, Michèle Noiret tient une place spécifique. Appartenant à une génération en grande partie issue de l’école multidisciplinaire Mudra, la jeune femme a commencé sa carrière par des pièces créées dans une grande complicité avec le compositeur Karlheinz Stockhausen avant de fonder sa compagnie en 1986 et développer, quelques années plus tard, une danse en étroite liaison avec l’image filmée. C’est ainsi qu’on parlera de Danse-cinéma au sujet de nombre de ses créations.
La pièce
Le Chant des ruines créé lors de la Biennale de Charleroi Danse en octobre 2019, quelques mois avant que la pandémie ne suspende toute activité sociale, et repris récemment aux Halles de Schaerbeek après une tournée européenne, poursuit cette fusion entre danse et cinéma.
Une phrase du philosophe Zigmunt Bauman, mis en exergue dans le programme de salle, donne une clé pour entrer dans l’œuvre : «La liquidité me semble une bonne métaphore de la société actuelle.» Selon Bauman, le monde moderne a perdu sa solidité. Il développe le concept de modernité liquide, mettant en avant la fragilité de la cohabitation humaine et l’extrême instabilité des liens entre individus où tout devient révocable.
Par une chorégraphie où se tressent habilement l’œil de la caméra et la subtile physicalité des cinq danseurs, Le Chant des ruines donne à voir cette modernité liquide.
Jetés dans un monde chaotique, souvent menaçant, les interprètes résistent comme ils peuvent, solidaires ou agressifs, luttent sans trêve, seuls ou en groupe. Heureusement, des moments d’humour et d’espoir viennent quelquefois trouer le climat d’incertitude qui pèse sur eux tout au long des 70 minutes de la pièce, comme des échappées joyeuses qui, malgré tout, affirment la volonté d’exister. Chacun des interprètes possède une forte personnalité et il faudrait tous les nommer tant leur engagement dans la pièce confère à celle-ci sa puissance évocatrice.
Une scénographie légère et mobile sans cesse en transformation, une caméra qui saisit l’intime pour multiplier les points de vue, ainsi qu’un univers sonore qui colle à l’action viennent renforcer la sensation de précarité.
La vision obscure de notre modernité proposée par le spectacle ne vient pourtant jamais oblitérer le souci de la beauté qui caractérise le travail de Michèle Noiret. L’élégance du geste rappelle les meilleurs moments de la danse contact développée par Steve Paxton, ainsi que l’apport de Trisha Brown que Michèle Noiret n’a jamais renié. Et, dans cette lutte existentielle si profondément interrogée par Le Chant des ruines, c’est en définitive le chant de la vie qui recouvre celui des ruines.
Bruxelles, Les Halles, 17-18 janvier 2025
Sonia Schoonejans