Voice of Desert

Chorégraphie : Saburo Teshigawara

Voice of desert-ch.Saburo Teshigawara-ph.Mariko Miura

 Au Festival Montpellier Danse, l’artiste japonais renommé Saburo Teshigawara présente sa création mondiale Voice of desert, avec sa compagnie Karas fondée en 1985 en collaboration avec la danseuse Kei Miyata.

Le chorégraphe est connu pour de brillantes chorégraphies proposées à des compagnies internationales dont l’Opéra de Paris, pour ses implications conceptuelles dans le domaine des costumes et des éclairages ; pour ses programmes éducatifs dont le « Saburo Teshigawara Education Project à Londres (STEP) », et ses enseignements inspirants envers de jeunes danseurs au studio de KARAS à Tokyo ; pour également son professorat au département scénographie, art dramatique et danse de la Tama Art University depuis 2014.

Multi-primé, il a entre autres reçu un Bessie Award en 2007 et la médaille d’honneur décernée par l’Empereur du Japon en 2009 ; il est fait officier de l’Ordre des Arts et des Lettres en France en 2017 ; il remporte le Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière à la Biennale de Venise en 2022.

Son gout connu et admiré conjuguant raffinement et rigueur enchante encore ce soir le public du Théâtre ouvert de l’Agora, cette architecture invitant à se laisser entrainer vers l’intériorité secrète de l’âme humaine et à vivre une extériorité nocturne agréable mais… imprévisible.            

La pièce   

Saburo Teshigawara et Kei Miyata sont sur scène ce soir, en compagnie de Rihoko Sato, Rika Kato et Izumi Komoda, impliqués dans une dramaturgie poignante.

Trois silhouettes habillées de vêtements noirs apparaissent avec une lenteur remarquable, accompagnées d’une musique douce et continue à laquelle se superpose le souffle du vent. Puis, au-delà d’un fond mélodieux de violons, les corps se crispent, hésitent, les mouvements deviennent saccadés et les bras se tendent vers le ciel ; suivi de l’apparition de cercles lumineux centrés par un point éclairé, – peut-être une manifestation du sacré – projetés au sol, cernés et traversés par les danseurs.

Rosissement de l’air, agitation subtile des corps, mouvements plus amples s’accordent avec l’effacement des cercles ; l’homme sautille, une femme tourbillonne tandis que l’autre, collée au mur de pierres d’un bond clair en fond de scène, paraît extatique. Ils guettent sans doute un message en provenance du divin, alors qu’une pluie fine s’invite.

La chorégraphie affiche des phases sensibles d’affolement et de calme momentané, à la recherche possible d’un discernement intérieur, de remémorations et souvenirs enfouis ; ces tableaux émouvants étant à la fois métaphoriques et intensifiés par la réalité de la pluie. Un enchainement dansé, nuancé et sophistiqué, suggère des sentiments contradictoires : gestes coulés et d’autres spasmés, contorsions et ondulations des torses, talonnements vigoureux et rythmés sur un fond sonore cadencé.

Mais des dieux, véritable providence non prévue par les auteurs-compositeurs, font cesser l’assombrissement climatique au profit d’un ciel qui se dégage et d’un éclairage scénique mordoré puis rougeoyant et transitoire.

Cinq interprètes sont alors en scène, alternant entrées et sorties. Des duos s’éprouvent, la marche épurée de l’homme coïncide avec une femme prise de convulsions, des comportements interrogatifs et des renfermements sur soi jusqu’à toucher l’inconscient s’accumulent, suggérant des états affectifs de perdition, de soumission, des rebonds hiératiques vains suivis d’affaissements au sol.

La lenteur posturo-gestuelle accentue la beauté et la pureté des lignes dans les attitudes, rompue par des accents de célérité décalée ; mais toujours les regards se tournent vers le ciel  – étoilé, sans les nuages – comme si la nature gratifiait les interprètes pour l’excellence de leur vocabulaire chorégraphique expressif, pour leur poésie et leur délicatesse. Des poses robustes en équerre comme marque fugace de rébellion ; des élans retenus comme signe de recueillement et d’humilité induisent l’idée qu’une déité compatissante pourrait agir.

Voice of Desert-ch.Saburo Teshigawara-ph.Laurent Philippe

L’homme, Saburo Teshigawara en personne, se lance dans un solo éblouissant, comme si l’élégance de son agilité chorégraphique était intacte malgré l’âge (70 ans) : frappe rageuse, piétinement coléreux, cri muet bouche ouverte, courbures et détentes fulgurantes, verticalité en tension, sont suivies du retour de deux femmes. Par une requête gestuelle interpellant le public, presque une supplique, elles semblent dénoncer la souffrance du monde alors que quelques paroles autour « du désert » se font entendre, sollicitant un secours qui viendrait d’un au-delà bienfaisant. Leurs vœux semblent exaucés, peut-être dus à l’aide providentielle d’une énergie cosmique infusant les êtres.

Rires, pleurs et tremblements sont soudain interrompus par un coup de tonnerre aussi brutal qu’effrayant, doublé de puissants roulements – un orage sans pluie (elle a cessé), en quelque sorte ! -. Les danseurs sont hébétés, éperdus, puis méditatifs à la faveur d’une faible lueur qui renait et les redynamise dans une timide mobilité respectueuse.

Deux femmes figées en posture symétrique au sol et l’homme agenouillé en signe de pénitence laissent l’assemblée des spectateurs dans un trouble émotionnel et questionne l’incommensurable mansuétude espérée, implorée par certains humains de notre planète terre.

Le salut des artistes et extrême virtuosité, déclenchent un tonnerre d’applaudissements.

Montpellier, Théâtre de l’Agora, 24 juin 2024

Jocelyne Vaysse

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