Giselle et les adieux de l’étoile Myriam Ould-Braham
Le ballet intemporel Giselle de Jean Coralli et Jules Perrot est en scène à l’Opéra Garnier jusqu’au 2 juin prochain.
Cette reprise se révèle particulièrement significative car l’étoile Myriam Ould-Braham a fait ses adieux le 18 mai dernier à l’âge de 42 ans selon les règles de l’Opéra national de Paris.
Entrée à l’Ecole de danse en 1996 en deuxième division après avoir fréquenté le CNSMD de Paris et nommée étoile le 18 juin 2012 par Brigitte Lefèvre à l’issue de la représentation de La fille mal gardée de Frederick Ashton où elle dansait le rôle principal de Lise, Myriam Ould-Braham s’est toujours distinguée par la poésie de ses mouvements, son lyrisme dans l’interprétation, son style raffiné et sa capacité à exécuter la technique classique, maîtrisée à la perfection, avec une grâce extrême.
Pour « sa dernière Giselle », l’étoile Paul Marque est son partenaire dans le rôle d’Albrecht ; un couple d’exception, car les deux interprètes excellent par leur sensibilité artistique.
Dans le premier acte, Myriam Ould-Braham enrichit la personnalité de Giselle : elle n’est plus seulement la jeune fille, paysanne naïve, qui cède aux avances d’Albrecht.
Certes, les passages qui marquent l’histoire ne changent pas, l’étoile semble bien intentionnée à l’égard d’Albrecht et d’un amour naissant.
Les deux personnages, contrairement à d’autres représentations, se partagent le développement de l’action chorégraphique, l’alchimie entre les deux étoiles étant bien au rendez-vous. (Par ailleurs, on se souvient de leur interprétation dans Le lac des cygnes en 2019, quand Paul Marque n’était encore que premier danseur https://www.chroniquesdedanse.com/critiques/le-lac-des-cygnes-6/). Leurs variations sont exécutées parfaitement.
Dans ce premier acte, on remarque également, précisément dans le pas de deux des paysans, Marine Ganio et Jack Gasztowtt, ce dernier Sujet très prometteur dégageant une fière allure sur scène, montrant sa remarquable technique, notamment dans les tours en l’air.
Myriam Ould-Braham intériorise la scène de la folie qui entraîne Giselle vers la mort lorsqu’elle découvre qu’Albrecht est un prince et qu’il est déjà fiancé : son désarroi face à la découverte de la trahison transpire par la force de son expressivité et transfigure son visage. Elle n’a pas à accentuer sa gestuelle tant son seul corps trahit son état émotionnel et sa profonde souffrance.
Le deuxième acte nous introduit au royaume des Wilis, ces créatures irréelles qui incarnent les esprits des jeunes filles blessées mortellement par les infidélités de leur amant avant leurs noces.
Le tableau le plus représentatif de cet acte revient à leur défilé en arabesques éblouissantes, cette figure de la danse classique devenant l’emblème même du ballet pour Serge Lifar.
Myriam Ould-Braham, fantôme virginal éthéré dès sa première entrée sur scène, émerge de sa tombe par une nuit sombre. Elle s’envole en toute légèreté dès sa première diagonale, ponctuée par des pas de batterie jusqu’aux petits sissonnes qui terminent la séquence.
Myrtha, la reine des Wilis (l’étoile Valentine Colasante) apparaît plus humaine et compréhensive, en comparaison avec d’autres interprétations qui la voulait plus autoritaire et perfide.
Elle accorde à Giselle de danser jusqu’à l’aube avec « son » Albrecht. Le pas de deux entre les deux jeunes dégage des images de délicatesse démontrant d’une part la résilience de Giselle et d’autre part les remords d’Albrecht. Ce passage réunit intensément les deux interprètes principaux, traduisant par leur proximité corporelle leur attirance, leurs sensations réciproques et émois amoureux.
L’heure de la séparation se profile : Albrecht en vient à s’épuiser sur le rythme soutenu de la musique en exécutant une série d’entrechats six qui l’élèvent, suggérant une image d’ascension céleste avec l’espoir de rejoindre Giselle. Le tintement des cloches annonce l’aube et le destin de Giselle et Albrecht s’accomplit.
Leurs derniers échanges et la violence de leurs regards contaminent le public, submergé par l’intensité émotionnelle de leur ultime rencontre.
Myriam Ould-Braham quitte les scènes de l’Opéra de Paris, tout en douceur en saluant son public avec la dévotion qui l’a caractérisée pendant ses longues années de carrière.
Opéra Garnier, 18 mai 2024
Antonella Poli