Fuck me
Chorégraphie : Marina Otero
Provoquant, puissant et violent, c’est ainsi qu’on pourrait juger ce dernier spectacle de Marina Otero, Fuck me présenté au Théâtre des Abbesses.
La chorégraphe argentine provoque le public dès le début. Sur la scène éclairée de lumières rouges, la nudité virile des cinq interprètes valorise des corps parfaits, vigoureux, prêts à montrer toutes leurs qualités physiques : pirouettes, sauts et chutes violentes animent les premières minutes du spectacle.
La chorégraphe apparait sur le côté du plateau : assise presque immobile, elle commence un récit qui nous amène à la rencontre de son corps malade, blessé physiquement et intérieurement. Parmi ses blessures, elle évoque son incapacité à satisfaire ses désirs et ses envies sexuelles. Elle se plonge aussi dans ses souvenirs d’enfance : le décès de sa grand-mère, la carrière militaire de son grand-père, jusqu’à à ses débuts dans la danse. Les vidéos projetées témoignent de sa recherche chorégraphique visant la création d’un geste percutant et rebelle qui constitue le langage de sa trilogie dont Fuck me fait partie. On comprend que Marina Otero aime oser contre son propre corps et contre les limites sociétales imposées par son pays. Elle se sent une héroïne, son esprit est bouillonnant.
Puis, sans pitié, elle témoigne de ses sensations lors de son entrée au bloc opératoire, quand elle avait dû se faire opérer du dos et rester immobile pendant un an. Les vidéos successives nous la présentent alitée dans un hôpital de Buenos Aires. Ses images et sa voix font partager au public son état de souffrance et en même temps de rébellion. Cette création a été conçue pendant sa maladie.
Marina Otero se lève de temps en temps de la chaise, fait quelques pas forcés sur scène, son handicap l’empêche de marcher normalement. Ses « boys », les Pablos, incarnent sa force vitale qu’elle ne peut pas exprimer : elle les appelle Pablo 1, 2, 3…selon les différentes parties de la chorégraphie confiées à chacun d’entre eux. Elle nous livre aussi sa nudité, son corps mince et fragile qui contraste avec ceux de ses partenaires.
Mais, dans le final, Marina Otero commence à enlever sa perruque, se déshabiller à nouveau pour commencer à courir sur scène. La rupture avec l’image de la créature fragile est brutale. Cette pièce peut être interprétée comme une sorte d’autobiographie, un parcours de rédemption et de libération de ses années de maladie. Les frontières entre le caractère éphémère de l’art et la réalité sont franchies, à tel point que sa propre expérience de corps malade devient le thème principal de Fuck me.
Certes, la pièce peut susciter des questions éthiques du fait que la maladie devient l’objet d’une performance. Des interrogations se posent : jusqu’à quel point pousser la fiction ? Et quelle réaction auront des personnes handicapées en voyant la pièce ? Le public quitte la salle et Marina Otero le salue en continuant sa course fluide et interminable sur scène.
Théâtre des Abbesses, 7 novembre 2022
Antonella Poli
Le teaser du spectacle :