Tel Aviv Fever
Chorégraphie : Roy Assaf, Yasmeen Godder, Hillel Kogan
Distribution : Ballet du Capitole de Toulouse
Tel Aviv Fever ouvre la saison franco-israélienne, qui se terminera au mois de novembre prochain. La direction du Ballet du Capitole de Toulouse et le Théâtre Garonne présentent ce spectacle coproduit aussi par le Festival Montpellier Danse . Les danseurs du Ballet toulousain ont été confrontés à la difficulté de s’emparer de nouveaux codes, ceux d’un style qui est riche de puissance, de vitalité et d’énergie et surtout qui requiert une forte présence scénique.
Comme Kader Belarbi, directeur du Ballet du Capitole de Toulose le souligne, « cette expérience est très enrichissante pour mes danseurs car leurs corps seront imprégnés de cette expérience même quand ils danseront des pièces plus classiques du répertoire. Malgré les manifestations hostiles reçues de la part d’associations palestiniennes envers le déroulement du spectacle, nous laissons souffler le vent de la liberté artistique qui ne peut pas être étouffé ».
A l’égard des difficultés que le spectacle a rencontré lors de sa première, le public a répondu positivement en montrant tout son intérêt, la salle étant complète.
Les trois chorégraphes invités, Roy Assaf, Yasmeen Godder et Hillel Godan ont mûri une expérience aux côtés de grands noms de la danse israélienne, notamment Ohad Naharin et Emmanuel Gat. Ils ont accepté de se confronter à des danseurs qui ont l’habitude de travailler différemment ; chacun d’entre eux a pu transmettre au Ballet du Capitole de Toulouse leur esprit artistique qui est porteur d’une part d’une recherche chorégraphique personnelle et d’autre part d’une quête qui vise à affirmer le danseur en tant qu’individu.
La première pièce au programme est Adam, de Roy Assaf, créée en 2016 pour la Batsheva Dance Company et reprise pour onze danseurs du Ballet du Capitole. Cette pièce, qui a une valeur philosophique, interroge le « toucher ». Les théories afférentes aux philosophes phénoménologiques avaient exploré la signification de ce sens. Jean-Luc Nancy, en passant par Jacques Derrida et Merleau-Ponty, avaient constaté que le toucher est le seul sens par lequel notre rapport au monde nous échappe. Un rapport qui ne passe pas par un délai entre le sujet pensant et l’objet, mais qui, dans la simultanéité de la sensation, s’approche au plus près du monde au point de s’y mêler et de s’y confondre. Le sujet touchant-touché est directement saisi par ce monde dont il prend d’ordinaire la mesure par l’intermédiaire de ses autres sens et de sa raison, qui mettent à distance sa relation aux choses. En outre, le toucher devient symbole de « saisie des coexistences », qui relève de l’émotion, qui porte en elle la dynamique du mouvement. Fondamentalement, la relation à la matière est donc un lien émotionnel. Et nous pensons que c’est ça le message que Roy Assaf veut nous laisser en concluant la pièce avec une interrogation qui reste ouverte : « si vous rencontriez une personne, où la toucherez-vous ?
Adam est une pièce épurée qui, à partir des duos homme-femme, interroge déjà le sens du toucher. La recherche de l’identité des corps est évidente, aspect qui se développe à travers une longue partie où chaque danseur pose son attention sur une partie de son corps : orteil, poignet, main, épaule, genoux, mollet, doigt. Quelle est leur valeur, semblent-t’ils se demander ? Une danse libre, sans aucune codification, réunit et en même temps laisse ouverte l’interrogation principale : « Comment entrer en rapport avec les autres ? » C’est un message universel et profond que les jeunes interprètes nous laissent avec beaucoup de force et de conviction.
La deuxième pièce de la soirée, la création Mighty Real, est un solo, une création de Yasmeen Godder pour les danseuses Kayo Nakazato et Ichika Maruyama qui se sont rendues sur place à Jaffa pour travailler auprès de la chorégraphe.
Le solo dévoile une recherche personnelle et intime de libération dont la danse est le véhicule. En parcourant dans tous les sens la scène, l’interprète se défoule, rêve, fuit des coups de canons qui éclatent mixés au Concerto pour piano et orchestre en ré mineur n.1 de Bach. Ce désir de se réapproprier sa propre vie est rendu de manière évidente dans le final où les notes de You make me feel, de Sylvester, lui donnent une ouverture d’espoir.
Quant à la création Stars and Dust pour trois couples d’Hillel Kogan, chorégraphe qui s’est révélé en France en 2016 au Festival d’Avignon, avec son spectacle We Love Arabs pour lequel il a reçu le titre de « Créateur remarquable » du Cercle israélien de Critiques de danse, elle pose des questionnements sur l’identité des interprètes par rapport à la danse en cherchant à faire apparaitre les danseurs comme individus « normaux et ouverts sur le monde ».
En fait, ils sont d’abord présentés sur scène en tant que « femmes et hommes », peut-être avec une famille, avec leurs différentes nationalités. Les interconnexions entre leurs personnalités singulières et la technique, la virtuosité, qui caractérisent les danseurs de ballet sont esquissées lors de la mise en scène d’un passage du Royaume des ombres de la Bayadère. Il n’y a pas fracture entre monde contemporain et monde classique, tout se déroule dans l’illusion et avec un sens de légèreté.
Tel Aviv Fever apporte un nouvel élan et ouvre un nouveau dialogue entre différents styles, permettant de développer un regard qui va au-delà de toute barrière ou stéréotype.
Montpellier Danse accueillira Tel Aviv Fever les 2 et 3 juillet à 19h30 au Théâtre Grammont, Chateau deGrammont, Montpellier
Antonella Poli, Théâtre Garonne, 23 Juin 2018