2019

Chorégraphie : Ohad Naharin

ph.Ascaf

La Batsheva Dance Company met en scène une composition chorégraphique dont le processus de création « home-grown » suggère un « fait à la maison », choix obligé à cause de l’arrivée de la crise sanitaire. La pièce est présentée enfin au 42ème Festival Montpellier Danse en 2022 où elle est particulièrement attendue avec ce titre révélateur 2019.

Ohad Naharin a succédé à l’américaine Martha Graham qui a dirigé initialement la compagnie Batsheva, il en prend la direction artistique en 1990 jusqu’en 2018, pour devenir « chorégraphe associé ». La danse dans ses courants classique, moderne, contemporain et autres esthétiques se conjuguent en un bel amalgame qui n’occulte pas – au contraire – l’ampleur du vocabulaire dansé dans des configurations aussi audacieuses que surprenantes.

A commencer, ce soir, par le dispositif scénique. Délaissant la grande salle du Corum, le public est assis sur deux gradins en face-à-face sur la scène même du Corum, distant par un plateau central de 25 mètres de long et 3 mètres de large, sorte de « catwalk » où vont défiler, s’agglutiner, s’accoler, se disperser les danseurs. Sous une apparence de joyeux désordre, la chorégraphie est autant minutieuse que débordante de vitalité, en hommage à son père Eliav Naharin (décédé en 2018) à qui est dédiée la pièce.

Cette installation spatiale en deux modules produit, non pas un effet de séparation, mais de jonction des spectateurs qui se voient comme dans un miroir, réunis aussi par les artistes évoluant au centre de ce lieu. Ohad Naharin le qualifie d’ailleurs « d’espace d’hospitalité », « d’espace de passage ».

Sur cette scène étroite, s’orchestrent sans répit dans une grande liberté d’incessants mouvements en grappe, en groupe, en ligne, en duo…  

Comment décrire cette emphase mouvementée et ces habilités corporelles déliées, espiègles, autrement qu’en associant une attitude et ses infinies variantes, une émotion et ses déclinaisons, montrant -non pas un éparpillement négatif- mais une accumulation de moments vécus, des pans d’histoire et d’événements influents, comme chacun d’entre nous les vit au fil du temps.

Ce sont des tenues sages ou suggestives et colorées, des joies et des nostalgies tristes, des gestes de séduction et des abandons, des tensions hargneuses et des communions, des marches cadencées aux pieds bottés inquiétants et des balancés statiques emprunts de douceur ou des ébauches de ronde enfantine, des contorsions insolites quasi-circassiennes et des positions réglées académiques, des bassins ondulants encore contrôlés et des fragments de transe convulsive, des séquences sexualisées et d’autres trans-genre, des ensembles compacts synchrones et des soli… Ils savent aussi s’aligner assis sur le bord de cette estrade, s’y endormir brièvement, s’allonger sans scrupule sur les genoux de quelques spectateurs, pour revenir fièrement sur le plateau.

Un mot, peut-être, résume ce foisonnement : le style « gaga », inventé par Ohad Naharin même à Tel Aviv, nous est offert dans une proposition somptueuse ; danse physique basée sur les sensations et les énergies du corps, articulant idées et actions, amenant au lâcher-prise et aux improvisations, libérée de contraintes techniques au profit de la créativité et de l’imagination, mais n’effaçant pas les compétences en danse des artistes présents et l’effort fourni pour satisfaire une telle virtuosité.

Cette sorte d’ode à la vie est soutenue par des textes, des musiques et des chants israéliens et arabes, des cris et des « you-you », complétant cet éclectisme chorégraphique qui s’étire dans une fluidité cohérente. La pièce est applaudie par un public particulièrement enthousiaste, partageant le plaisir de la danse avec la compagnie.

Montpellier, Corum, 29 Juin 2022

Jocelyne Vaysse

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