Thierry Malandain : danser sans limites…il prépare une création pour avril 2021
« Après cinq mois de cauchemars éveillés et des semaines d’efforts obstinés pour redonner vie à une compagnie laissée en condition de mort apparente, cette saison 2 du confinement marque un nouveau coup dur. Mais contrairement aux premiers épisodes d’une pandémie faisant tomber sur l’art et la culture une ombre écrasante, cette fois, bénissons le ciel et tous les Dieux, car bien que décrétée non-essentielle, pour ne pas dire inutile, la pratique de la danse en milieu professionnel étroitement sécurisé n’est plus « au rang des péchés mortels » aurait dit Paul-Louis Courrier, auteur en 1822 d’une Pétition pour des villageois qu’on empêche de danser. Heureux effet de cette liberté formelle, en attendant le rétablissement des cérémonies culturelles publiques, nos studios tiennent lieux d’espoir et de consolation.
À preuve, malgré la fermeture des fleuristes, Martin Harriague, artiste associé au Malandain Ballet Biarritz y sème actuellement les graines d’un Sacre du printemps prévu dans le courant de l’automne prochain. Pour sûr, les bonnes gens diront qu’il y a quelque chose de dérangé là-haut et qu’il n’y a plus de saisons, mais il y a aussi d’habiles jardiniers capables de forcer la nature et d’opérer les fécondations avec discernement.
Quant à moi, j’aligne des pas qu’on ébourgeonnera mi-avril à Biarritz et San Sebastián. Personne ne les ayant commandés, entre colère et désarroi, j’ai choisi la Sinfonia pour huit voix et orchestre de Luciano Berio, créée à New York en 1968. Année des plus turbulentes aux États-Unis et en France, où « vivre sans contraintes et jouir sans entraves » devait devenir les seules règles. « Dire cela, sans savoir quoi » : dans un enchevêtrement de références musicales et textuelles, Luciano Berio, cite Samuel Becket. « Comment faire, comment vais-je faire, que dois-je faire, dans la situation où je suis, comment procéder ? » écrit encore l’auteur de l’Innommable.
Réponse en avril, si nous ne perdons pas le fil et retrouvons le droit de vivre et de danser sans limites ».
Thierry Malandain, 18 Novembre 2020