Massâcre

Jeroen Verbruggen-ph.Alice Blangero

A la salle Garnier, Opéra de Monte-Carlo, Jeroen Verbruggen et Sidi Larbi Cherkaoui présentent du 19 au 22 Juillet deux nouvelles créations pour les Ballets de Monte-Carlo : Massâcre et Memento Mori. Jeroen Verbruggen dévoile ses propos pour sa nouvelle création

A.P. Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur le Sacre du Printemps ?

J.V. J’avais toujours été attiré par la musique de Stravinsky, qui a été mon point de départ. J’aurais voulu faire un ballet sur le Sacre du Printemps bien avant, mais c’était trop tôt et je n’étais pas prêt, même si j’avais interprété pendant ma carrière de danseur les versions de Nijinski, Béjart et Pina Bausch qui reste pour moi la meilleure. Je connais bien la partition de Stravinsky, même aujourd’hui je me souviens de sa cadence. La découverte de la version plus jazzy du Sacre du Printemps du groupe américain Bad Plus m’a ouvert les portes pour ce défi.

A.P. Comment avez-vous travaillé pour sa conception ?

J.V. Sur la base de mes expériences passées, j’ai voulu créer cette nouvelle pièce à partir de nouvelles idées. Par exemple, j’ai éliminé l’image du cercle qui est prédominante dans le Sacre de Nijinski pour adopter à sa place une boîte carrée. Cette forme représente d’une part l’honnêteté, la rectitude et d’autre part du fait de sa structure anguleuse, la dualité et les contrastes qui peuvent apparaître dans les relations humaines. J’ai préféré en général adopter des images plus poétiques. J’ai réinventé la figure de l’élue. Normalement elle est la victime d’un sacrifice ; dans la vision de ce ballet, elle est identifiée comme la gagnante d’une élection, notamment politique. De mon point de vue, l’élue devient capable d’être l’auteur d’un massacre et de détruire la poésie. D’où en fait l’origine du titre de la pièce, Massâcre.  Dans la première partie, normalement dédiée à l’adoration de la terre, j’ai choisi de faire se produire seulement huit danseurs. L’adoration de la terre a en soi quelque chose de sensuel, elle représente notre mère. Dans cette partie, je mets en évidence avec des images poétiques justement ce rapport charnel entre des fils et leur mère. C’est une exhortation aussi à l’aimer. La sexualité présente dans cette première partie laisse la place dans la deuxième, interprétée seulement par des danseuses, à une atmosphère plus pure, plus musicale.

A.P. Quels sont les éléments forts de cette création ?

J.V. Créer Massâcre a été pour moi un challenge. Mon bagage de danseur m’a permis d’aller plus loin  et de créer aussi une pièce très musicale. Dans la première partie, celle avec huit danseurs, il y a une séquence de lift très forte. Le décor de la scène aux tonalités blanc de chaux se différencie d’autres versions du Sacre qui sont plus sombres. Les costumes de Charlie de Mindu sont rouges, noirs et champagnes. Je peux définir cette pièce comme panoramique car j’ai décidé de baisser la hauteur de la scène. Malgré mes propos, j’ai voulu par moment être plus soft, moins sérieux, je dirais presque grotesque. Je laisse au public le soin de découvrir la pièce et de trouver ses interprétations : dans l’idée de sacrifice on pourrait  retrouver par exemple la femme arabe qui est obligée d’être voilée ou un homosexuel qui est obligé de cacher sa sexualité.

A.P. Avez-vous introduit de nouveaux éléments dans votre vocabulaire ?

J.V. Depuis cinq ans mon travail est en plein évolution, je suis à la recherche d’un style de plus en plus épuré. Par exemple, dans Massâcre il y a seulement quatre filles sur huit qui dansent avec les pointes, je trouve que cela crée plus de légèreté.

A.P. Et  votre rapport avec la musique ?

J.V. J’ai travaillé exclusivement sur la version du Sacre du Printemps du groupe Bad Plus ; seulement à la fin, j’ai intégré des morceaux créés par un DJ.

A.P. Vous avez choisi la citation d’Emily Dickinson « L’espoir est cette chose avec des plumes qui est perchée dans l’âme et chante une mélodie sans paroles… » pour laisser un message avec Massâcre. Pourquoi ?

J.V. J’ai été touché par la découverte de cette citation. La plume qui tombe symbolise pour moi un ange,  une personne qui apparaît .Elle  transmet à la fois la tendresse et une idée d’espoir. En même temps, l’élue de mon ballet est habillée avec des plumes rouges et ce sera à elle de tuer les autres. Un regard, donc, ouvert sur l’espoir mais qui reste conscient face à la réalité.

Propos recueillis par Antonella Poli

 

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