Malpaso Dance Company : Interview à Osnel Delgado

Malpaso Dance Company, 24 Heures et un Chien, ch.Osnel Delgado-ph.Judy Ondrey

Du 28 au 30 Mars, la compagnie cubaine de danse contemporaine Malpaso Dance Company se produira pour la première fois en France dans le cadre de la saison 2021/2022 de Transcendanses au Théâtre des Champs Elysées. Son directeur, Osnel Delgado nous parle de ses idées chorégraphiques, de sa compagnie à la veille de la première.

A.P. Pourquoi avez-vous décidé de créer votre compagnie il y presque 10 ans ans et pourquoi ?

O.D. La Malpaso Dance Company a été fondée en décembre 2012 ; nous fêtons cette année son 10e anniversaire. Il y a deux autres personnes très importantes qui m’ont accompagné dans cette aventure à l’époque : Fernando Saez, directeur exécutif et Dayle Carrazana, directeur artistique associé, danseur, professeur et chorégraphe. Tous les trois, nous sommes partis des insatisfactions que nous avions dans les compagnies précédentes où nous avions travaillé. Dans mon cas, je venais de Danza Contemporánea de Cuba où je n’avais pas trouvé assez d’espace pour développer mon travail chorégraphique ; j’ai donc décidé de quitter la compagnie à la recherche de mon propre style. Aujourd’hui, après presque 10 ans, je dois dire que c’est quelque chose de très difficile à trouver, mais je remercie la compagnie pour tout ce temps pendant lequel j’ai pu créer et partager avec des gens incroyables, des danseurs et d’autres chorégraphes qui ont contribué à enrichir notre répertoire. Je suis toujours plongé dans cette recherche, je pense que c’est quelque chose qui ne finit pas et j’ai toujours un appétit pour continuer à développer mon rôle de chorégraphe et aider les autres dans ce processus.

Quelles sont les qualités que vous recherchez pour vos danseurs ?

Je pense que nous recherchons des danseurs qui ont une grande ductilité et une grande qualité technique, car le répertoire l’exige. Mais ils doivent aussi avoir de grandes qualités humaines pour pouvoir s’entendre et s’entraider. Ils passent beaucoup de temps ensemble en studio et en tournée donc c’est inévitable. Nous n’organisons jamais d’auditions, les danseurs sont autorisés à s’entraîner avec la compagnie, partager ce qui se passe dans le studio et si la chimie fonctionne, alors c’est très bien.

Vos parents étaient danseurs et vous avez commencé à chorégraphier en vous inspirant d’eux. Comment avez-vous créé votre propre style et quelles sont vos principales idées sur votre manière de chorégraphier aujourd’hui ?

Mes parents étaient danseurs et tous les deux travaillent actuellement comme professeurs. Ils ont sans aucun doute eu une grande influence sur ma vie, mais j’ai choisi indépendamment de devenir chorégraphe.

J’ai toujours aimé raconter des histoires et, au fil du temps, mon intérêt à faire évoluer ce que j’avais appris à l’école avec une vision et une imagination très personnelle a augmenté. Quand je crée, malgré les outils et les compétences sur lesquelles je peux m’appuyer, j’essaie toujours de partir de qui je suis, je collabore avec les autres et ensemble nous construisons un langage qui appartient au présent, au maintenant ; c’est quelque chose qui me passionne et change à chaque fois, en fonction de l’idée que je souhaite véhiculer ou des personnes avec qui je travaille. J’utilise beaucoup des références, c’est quelque chose qui m’aide à ancrer la créativité du mouvement à la réalité. Et bien que travailler ensemble au sein de la compagnie aide à avoir une méthode et des bases de travail, j’essaie de me surprendre et d’utiliser des éléments qui me mènent vers une autre direction, vers un terrain différent en apparence et en texture que je n’ai jamais approché, mais plus proche à moi.

Cuba a une tradition importante dans la culture de la danse. En êtes-vous influencé ou préférez-vous être totalement libre ? Y a-t-il un chorégraphe en particulier qui vous a inspiré ?

En vérité, nous appartenons à un peuple qui danse quand il parle ou agit de façon rythmée, ondulante, voire sensuelle ; il y a toujours du mouvement. Je pense que c’est quelque chose qui est en chacun de nous sans le vouloir. Je ne pense pas à danser « cubain » parce que je suis cubain, parce que je viens de Cuba, mais si je danse des œuvres d’un Israélien ou d’un Suédois, il reste des signes caractéristiques qui imprègnent la performance et une façon très unique et particulière de bouger le corps. Formés par la technique cubaine moderne ou par l’école de ballet cubaine, nos danseurs sont rompus aux styles les plus contemporains, réinventant à chaque fois ce qui est cubain. Nous sommes une île marquée par la lutte contre tout isolement, cherchant à se connecter avec de nouveaux publics sans perdre notre essence. Être universel sans cesser d’être soi, voilà ce qui est important.

Quant à mes maîtres, je ne peux manquer de mentionner mes professeurs, Isidro Rolando, Jorge Abril ou Santiago Alfonso ou d’autres plus jeunes comme George Céspedes et Julio César Iglesias et les internationaux Mats Ek, Ohad Naharin, Azure Barton, Rafael Bonachela et Jan Linkens et autres.

Pour votre première tournée en France, vous avez choisi les ballets Tabula Rasa et Woman with Water d’Ohad Naharin, et Mats Ek. Pourquoi ?

Nous parlons de deux des chorégraphes les plus influents de la danse contemporaine dans le monde. Dans ces neuf dernières années, la compagnie a travaillé avec des chorégraphes internationaux de renom tout en développant les qualités chorégraphiques de nos danseurs. Elle dispose d’un répertoire très intéressant et diversifié. Le programmateur choisit les ballets à présenter, mais sans aucun doute ces belles œuvres d’Ohad Naharin et Mats Ek avec ma pièce  24 Heures et un Chien, constituent un programme exquis et attirant ; j’espère que le public l’aimera.

Vous présenterez justement votre pièce 24 Heures et un Chien. Pourriez-vous nous en parler ?

24 Heures et un Chien est un ballet créé en 2014 en collaboration avec les danseurs. La musique d’Arturo O’farrill est excellente. Cela raconte ce qui arrive entre les danseurs de la compagnie au cours d’une journée, dans une ville comme la nôtre (La Havane), et un chien imaginaire.

La pièce est divisée en 7 sections :

  1. Ouverture / 24 heures dans la vie d’un chien; 2. Promener le chien / Ceviche; 3. Travailler en studio / Le Sud; 4. Midi / Amande; 5. Poursuivi par le chien / TintalTintalDeo; 6. Rêverie (duo) / Elle se déplace dans la foire; 7. G Street (Grande Finale) / Tanguango

Quelles sont vos attentes de cette tournée en France ?

La compagnie a été très peu présentée en Europe, seulement une fois à Hambourg et une fois à Belgrade. Il est toujours agréable et intéressant de se présenter à de nouveaux publics. C’est aussi ma première fois en France. J’espère trouver des amis à travers notre art.

Selon vous, que représenterait la danse aujourd’hui ?

La danse est et sera toujours un art éphémère, mais qui demande beaucoup de travail . J’ai appris à valoriser tout le personnel qui nous permet de nous produire dans un théâtre. En ces temps très difficiles que nous vivons, je ne peux qu’espérer que ce qui me passionne tant ne disparaisse pas, ce qui me ferait beaucoup souffrir. Cet art ne serait rien si nous ne pouvions pas le partager avec notre public, avec notre peuple et avec le monde entier. C’est l’art pour rencontrer des amis, l’art de raconter des histoires avec le corps qui évoquent la mémoire de notre existence.

Propos recueillis par Antonella Poli

 

 

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