Lulu
Lulu avait été créé à l’automne dernier dans le cadre de la série Expansive Dances conçue par le Ballet National du Canada pour faire face à la fermeture des théâtres due à la pandémie de la COVID 19. Maintenir et soutenir la création malgré cette période difficile était l’un des objectifs.
Le film chorégraphié par Guillaume Côté sous la direction de Ben Shirinian a remporté le six janvier dernier le Prix au MIFF (Milan Film Festival). Il illustre le voyage introspectif d’une femme, interprétée par l’étoile du NBC Heather Hogden. A bord d’une voiture, angoissée, elle se plonge dans ses souvenirs, peut-être dans la mémoire d’un être cher disparu, entourée par un vaste paysage dominé par la nature sauvage et par un coucher de soleil mordoré. Cet environnement infini, libre, silencieux lui parle et pendant qu’elle parcourt une route de campagne isolée, au volant de son véhicule, une voix hors champ récite un poème et l’accompagne de manière assourdissante :
« Do not stand at my grave and weep I am not there. I do not sleep. I am a thousand winds that blow. I am the diamond glints on snow. I am the sunlight on ripened grain. I am the gentle autumn rain. When you awaken in the morning’s hush I am the swift uplifting rush of quiet birds in circled flight. I am the soft stars that shine at night. Do not stand at my grave and cry ; I am not there. I did not die ».[1]
Ces derniers mots exhortatifs provoquent une sorte de choc en la femme qui arrête sa voiture. Symboliquement elle prend courageusement conscience et réagit en reprenant possession de son corps, qu’elle avait délaissé, complètement plongée dans des flux mentaux incessants de désarroi et de douleur.
D’abord elle s’approprie les sensations physiques de son visage : le palpe, le redessine grâce à son toucher rapide qui s’amplifie. Ces mouvements soutenus par la musique November aux accents poétiques de Max Richter, sont inspirés aussi par les images mentales obsessionnelles qui semblent la tourmenter , et même la persécuter.
Le regard se perd dans l’ouverture du paysage, en aspirant à des réponses.
La voiture joue aussi un rôle symbolique : c’est le lieu des troubles, des peurs qui enferment la jeune femme, la privant de liberté, de l’accès à son soi et à la voie de la résilience.
La décision est prise. Alors qu’elle quitte la voiture, le corps s’élance. Une danse libératoire commence, démontrant sa détermination dans la gestuelle puissante des bras et sa force dans le déploiement des jambes jusqu’aux sauts aériens.
Son corps, initialement emprisonné retrouve sa vigueur, son énergie corporelle ressurgit sans hésitation. La femme rassurée et revigorée décide de s’affranchir et volontairement d’abandonner son passé, ses souvenirs. Elle s’engage dans une course en ligne droite vers un nouvel horizon, un abandon : l’oubli et la lutte dans silence assourdissant.
Janvier 2021, Antonella Poli
[1] Mary Elizabeth Frye, Do not stand at my grave and weep (1932), trad. française : Ne reste pas près de ma tombe à pleurer, je ne suis pas là. Je ne dors pas. Je suis mille vents qui soufflent. Je suis les reflets de diamant sur la neige. Je suis la lumière du soleil sur le grain mûr. Je suis la douce pluie d’automne. Lorsque tu te réveilles dans le silence du matin, je suis la ruée rapide et édifiante d’oiseaux tranquilles en vol circulaire. Je suis les étoiles douces qui brillent dans la nuit. Ne reste pas près de ma tombe et ne pleure pas; Je ne suis pas là. Je ne suis pas mort ».