Danser sa peine

Angelin Preljocaj avait présenté le mois de juillet dernier au Festival Montpellier Danse sa création Soul Kitchen. Le point de départ de cette pièce avait été les ateliers de danse organisés par le chorégraphe pendant 4 mois, 2 fois par semaine, avec des détenues de la prison des Baumettes II de Marseille.  Les contraintes administratives réglées, le chorégraphe avait pu commencer à travailler avec cinq femmes, âgées de 19 à 72 ans, toutes condamnées à des longues peines mais déjà soldées pour moitié.

Elles s’appellent Sylvia, Litale, Sophia, Annie et Malika et aucune d’entre elles n’avait jamais dansé. Angelin Preljocaj a dû s’interroger sur l’approche à adopter, d’autant plus que la danse est un langage codifié soumis à règles bien précises sollicitant la mémoire du corps.

En outre, il s’agissait de cinq femmes qui, à cause de leur emprisonnement, connaissent une réduction de leur sensibilité sensorielle : le goût, l’odorat, l’ouïe, la perception de l’espace (elles vivent dans 9 mètres carrés), et la liberté de mouvement.

Soul Kitchen, pièce touchante, montre la réappropriation de la plénitude du « soi » pour s’affirmer comme individu à travers la danse : cela se manifeste avec le récit par chaque danseuse de vers extraits du Livre III des Nourritures Terrestres de Gide : « Apportez-moi du vin — Que je tache ma robe ! …— Et l’on m’appelle…suivis par la prononciation de leur prénom.

Le travail humain et engagé d’Angelin Preljocaj a inspiré la réalisatrice Valérie Müller pour tourner un documentaire, Danser sa peine, qui a remporté le Grand Prix national FIPADOC 2020. Il pose un autre regard sur la prison, sur l’enfermement des corps et sur le processus de création.

« Filmer des femmes détenues qui doivent trouver dans leur corps et par leur esprit l’énergie et la conviction d’aboutir à un spectacle est un enjeu narratif qui me passionne. Entrer dans un monde féminin méconnu et diabolisé, par le prisme de l’art et l’objectif de son accomplissement sur scène représentent un arc dramatique singulier que je veux restituer dans ce film. En une heure, Danser sa Peine tente de trouver les voies d’émancipation, voire de rédemption que le travail de la danse avec un chorégraphe comme Angelin Preljocaj peut ouvrir à ces femmes dont les existences et les corps sont maintenus en détention », souligne Valérie Müller.

Le documentaire sera transmis jeudi 26 Mars à 23h25 sur France 3 et en suite il sera disponible en streaming.

Antonella Poli

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