Angelin Preljocaj : Annonciation – Torpeur – Noces
Torpeur - ph.JC Carbonne
Dans le cadre de la nouvelle programmation de Transcendanses, au Théâtre des Champs Elysées, du 1er au 3 décembre 2023, Angelin Preljocaj présente un programme qui intègre deux pièces emblématiques de son répertoire, Annonciation (1995) et Noces (1989) à une création intitulée Torpeur, présentée en juin au festival Montpellier Danse .
Ce triptyque permet au public de s’immerger dans le style d’Angelin Preljocaj, témoignant de presque 35 ans de créations : malgré les nouveaux interprètes, la puissance et la force des anciennes pièces sont encore tout à fait vivantes valorisant les qualités du langage chorégraphe fondé sur une gestuelle précise et incarnée par les danseurs.
Avec la création Torpeur le chorégraphe explore cet état psychique et physique qui conduit à l’apathie et à l’engourdissement. Au début de la pièce les interprètes sont encore élancés dans une danse rythmique, pointillée de sauts permettant de dessiner des lignes géométriques horizontales dans l’espace. Au fur et à mesure l’énergie s’amenuise et s’effondre, les corps s’alourdissent laissant la place à des mouvements presque statiques limités dans leur ampleur.
Cet état particulier de pesanteur et d’abandon de soi est partagé : des duos et des trios se succèdent, les corps respectifs des danseurs se rapprochent partageant leurs sensations physiques. Les mouvements tactiles sont lents ce qui permet d’accentuer la pesanteur et l’absence de désir ou de volonté face à l‘effort requis. Dans les passages au sol ou début, le rythme ne change pas, l’asthénie envahit la scène et amène les interprètes à se réunir en groupe. A ce moment ils testent le poids de leurs muscles, la limitation de leur pas comme s’ils étaient enfermés dans une cage. L’atout de la chorégraphie consiste à savoir transmettre au public les sensations qui traversent les corps des danseurs et pour cela le Ballet Preljocaj ne nous surprend pas, car c’est une de ses qualités principales.
Il n’y a pas d’issue positive à cet état de torpeur, Angelin Preljocaj imaginant un final où les danseurs sont allongés au sol en cercle et exécutent des mouvements gymniques. Les jambes se lèvent comme dans des exercices de barre au sol, les bras de chaque danseur s’allongent en allant chercher les chevilles de celui qui le précède, suivant une rigueur rythmique mathématique. L’élan du début de la pièce est complètement amoindri et aplati dans la répétition cyclique de mouvements égaux.
Annonciation (1995) est un superbe pas de deux dédié au moment de la perte de la virginité de la part de Marie. Contrairement à la vision spirituelle que l’iconographie classique consacre à ce moment, ce duo met l’accent sur son aspect charnel. Marie apparait enfermée dans sa solitude, la partition sonore abstraite de Stéphane Roy laissant présager son destin. Elle est stupéfaite par l’arrivée fulgurante du puissant archange Gabriel qui s’impose face à Marie troublant sa tranquillité, la stigmatisant par sa présence avec des gestes symboliques : en élevant son index pour signifier la volonté divine, la touchant avec ses mains particulièrement au niveau du ventre, suggérant l’annulation de la distance entre l’humain et le divin, l’esprit et la chair.
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- Annonciation – ph. JC Carbonne
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- Annonciation – ph. JC Carbonne
Cette rencontre est manifeste car Marie et l’archange Gabriel dansent ensemble sur la même partition chorégraphique semblant partager les mêmes interrogations, les mêmes inquiétudes. La musique, le Magnificat de Vivaldi, consacre ce moment de symbiose sacrée. Si l’art figuratif à travers des siècles a essayé de nous rendre en images un des mystères clef de la foi catholique, cette pièce s’inscrit dans la tradition et la dépasse, plus que jamais le langage du corps étant capable de fusionner l’indicible, l’intangible avec la nature humaine. Cette capacité d’Angelin Preljocaj d’humaniser des thèmes religieux liés au rapport entre le mystique et la sensualité nous la retrouvons aussi dans d’autres ballets notamment dans Hallali Romée (1987) dédié à Jeanne d’Arc, Liqueurs de chair (1988) et MC 14/22 (2001) inspiré du chapitre 14, vers 22 de l’évangile de Saint Marc.
La soirée se termine avec Noces, pièce avec laquelle Angelin Preljocaj se tourne vers la tradition, et particulièrement celle des Ballets Russes (il a créé aussi Parade et Le Spectre de la Rose) tout en gardant son inclination pour l’écriture du mouvement et l’exaltation du corps dansant. La chorégraphie originale de Bronislava Nijisnka illustre le rituel russe du mariage caractérisé par la dominance du pouvoir familial sur les mariées. Dans sa version Angelin Preljocaj bouleverse l’atmosphère revalorisant la figure féminine qui s’affirme sur scène avec force en égalisant les rôles de l’homme et de la femme. Les tableaux sont investis par une gestuelle puissante à la limite de la violence ; les mariées s’expriment sauvagement manifestant la force de leurs instincts comme signe de rébellion.
Noces – ph. JC Carbonne
Une autre particularité marquante de la pièce est liée à la présence sur scène de poupées en tissu en habits nuptiaux que les danseurs entraînent dans des pas de deux en les attrapant et les secouant dans leurs bras, les malmenant à leur guise, renvoyant aussi aux comportements sexistes contemporains décriés.
Le public sera comblé par ce programme qui met à l’honneur le langage d’Angelin Preljocaj et de ses interprètes où les images dansées réunissent perfection formelle et intensité émotionnelle.
Antonella Poli
Le teaser pour Annonciation et Noces :