Andrea Sitter-La Cinquième Position

Andrea Sitter-La Cinquième position

Andrea Sitter se produit au Théâtre National de Chaillot jusqu’au 20 Décembre avec une pièce intitulée La Cinquième Position. Avec beaucoup de tendresse, d’originalité et parfois un peu d’ironie elle nous livre ses souvenirs, ses impressions et ses rencontres marquantes au cours de sa carrière (Joseph Russillo, Odile Azagury, Alvin Nikolais, Anne Marie Reynaud, Carolyn Carlson…). Son spectacle retrace sa vie de danseuse selon une approche particulièrement créative, le public peut admirer ses qualités artistiques et la richesse de ses mouvements corporels qui rompent avec la gestuelle conventionnelle susceptible de figer sa créativité. De formation classique, elle ose ouvrir de nouveaux sentiers, et confirme par là son talent d’artiste et d’interprète qu’elle a su exprimer pendant plus de 25 ans de carrière en France.

Nous l’avons rencontrée dans sa loge pour découvrir son parcours et ses idées en tant que chorégraphe et intérprète.

Antonella Poli: Pouvez-vous nous parler de votre formation et de votre rencontre avec la danse contemporaine ?

Andrea Sitter : J’étais danseuse classique à l’Académie de Munich et j’avais été choisie pour jouer un rôle dans le prologue du film de Von Karajan, l’Or du Rhin, tourné aux Bavaria Film Studios. Il s’agissait de faire semblant de nager en chantant en play-back. Ma participation à ce tournage me donna l’opportunité de profiter de certains avantages économiques. J’avais envie de voir ailleurs, de ne pas rester encadrée au Ballet de Munich avec une carrière et une vie privée déjà déterminées. J’ai pris une année sabbatique et je suis arrivée à Paris. Ce fut un choix difficile, bien sûr, mais rester en Allemagne me semblait moins intéressant, à Paris il y avait beaucoup d’effervescence. Ma vie prit une autre tournure après le résultat positif de l’audition avec Joseph Russillo en 1980.

A.P. Vous avez travaillé en France avec Carolyn Carlson et Alvin Nikolais. Quels sont vos souvenirs les plus marquants de ces deux figures majeures de la danse ?

A.S. J’ai eu des difficultés au début. Pour moi il s’agissait de recommencer un autre type de travail. Marcher tout simplement  » en parallèle  » c’était difficile pour moi, qui avais une formation classique où  » l’en dehors  » est fondamentale. En plus leur travail était plus conceptuel, et basé sur l’improvisation, élément auquel je n’étais pas habituée.

A.P. Quel est votre rapport avec le théâtre ?

A.S. J’ai commencé à suivre le théâtre pour apprendre et me familiariser avec la langue française. C’était un moyen pour entrer en contact avec une culture différente. Après, avec Anne Marie Reynaud, j’ai eu la possibilité de participer à ses oeuvres en récitant des textes en allemand, je sentais une grande liberté d’expression. J’ai commencé à réfléchir sur la façon de styliser le langage pour le rendre différent de celui de la vie quotidienne. Ensuite, la rencontre avec Micheline Kahn m’a permis d’avoir des outils pour mieux m’exprimer.

A.P. Que pensez- vous de l’idée selon laquelle la danse se rapporte à la mémoire?

La pièce présentée en ces jours, La Cinquième Position fait appel à la mémoire. Quelle est votre opinion par exemple des oeuvres de Jérôme Bel qui adopte cette même ligne dans certains de ses ballets ?

A.S. Je fais toujours attention à prendre une certaine distance entre le ballet et mon histoire personnelle. Il y a déjà eu d’autres pièces de ce genre, peut-être trop conventionnelles. Quand j’ai reçu la commande pour la  » Cinquième position  » en 2008 de Christophe Martin pour le festival Faits d’Hiver, j’ai voulu créer quelque chose de différent pour aller au delà du récit personnel. Trois autres artistes avaient été invités à présenter leurs créations, Fred Verrel, Corinne Barbara et Christine Cordait, mais je voulais vraiment me différencier. J’ai mélangé vérité et mensonge, j’ai essayé en créant cette chorégraphie, de reproduire les styles des personnalités qui m’ont marquée, j’évoque ainsi les maîtres de ma carrière, en mettant en relief leur richesse. Bien sûr je me suis basée sur les souvenirs, mais j’ai fait appel à toute ma créativité pour que la pièce ne soit pas un simple récit de vie biographique. Par exemple le passage avec la remise du Prix Nijinski, où j’arrive à remercier tout le monde, est une sorte de prétexte pour remercier et parler de mes grands maîtres mais aussi pour ironiser sur les grandes cérémonies de remise des prix. J’ai toujours eu besoin de m’extirper des règles et de m’éloigner de la réalité. Je ne connais pas trop les oeuvres de Jérôme Bel, mais je garde un bon souvenir de celles interprétées par Dominique Doisneau et Lutz Forster, plus théâtrale. Ce qui reste important pour moi, c’est de transcender le quotidien car c’est facile de tomber dans la quotidienneté.

A.P.Maguy Marin affirme qu’à chaque fois qu’elle présente une pièce, elle se retrouve face à une oeuvre morte. Quelle est votre approche quand vous reprenez une de vos pièces ?

A.S.Chaque fois est différente pour moi. J’ai un petit cahier où je note à la fin des spectacles les passages que je n’ai pas bien ressentis, mes impressions, mes commentaires. C’est vrai qu’avant chaque représentation on se sent comme un cadavre, c’est un ressenti radical, on est dans une espèce d’état vertical, où l’on se remet en cause. Une fois sur scène, les premières dix ou quinze minutes passées, on commence à s’étaler pour rentrer dans une dimension plus horizontale qui permet de s’exprimer au mieux.

A.P. Pensant la Cinquième position, vous parlez de beau geste en faisant référence à Dominique Boivin, Christine Erbé et Philippe Priasso. Mais qu’est-ce que c’est pour vous le beau geste ?

A.S .C’est difficile de répondre mais je pense qu’on peut qualifier de  » beau  » un geste qui vient de l’intérieur et qui se déploie dans une nécessité unique, toujours en partant de notre intériorité. Après, il résonne de différentes manières auprès des consciences dans le public, en réalité je ne sais jamais à l’avance quelles réactions et quels sentiments il peut susciter chez les spectateurs.

A.P. Dans votre livre La Reine écrit, il y a un passage où vous vous questionnez :  » Est-ce que je veux danser vraiment ? Est-ce que je veux danser pour faire plaisir à moi ou à vous…. ? « . Avez-vous trouvé aujourd’hui des réponses à vos questions ?

A.S. Les questions restent, je me fais plaisir, certes, mais c’est un combat quotidien, je ressens parfois de l’angoisse, car avec le public on n’est jamais sûr. Les questions restent ouvertes et je me les pose à la fin de chaque spectacle. Aujourd’hui je ne renie pas ma formation classique mais j’ai un regard très ouvert sur le contemporain pour pouvoir évoluer dans la modernité.

A.P.Quelle est votre opinion sur les évolutions de la danse actuelle ?

A.S. Mon impression est qu’aujourd’hui, on cherche à parcourir les sentiers battus, en essayant de rebondir à partir de ce qui a déjà été créé. C’est une danse très conceptuelle, qui demande beaucoup de technicité. De plus, on est dans un monde globalisé, où l’on peut facilement être imprégné ou influencé par d’autres styles avec le risque de s’éloigner de soi-même.

A.P. Après le Théâtre National de Chaillot, quels sont vos projets ?

A.S. Le 30 et 31 Janvier prochains je joue à l’Opéra National de Bordeaux  » Encore Heureux  » avec le collectif Yes Igor. Il s’agit d’une pièce originale et riche en énergie, vraiment à découvrir…

Théâtre National de la Danse -Chaillot, 10/12/2014

Propos recueillis par Antonella Poli

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