Rencontre dansée avec Angelin Preljocaj

Chorégraphie : Angelin Preljocaj

Dans le cadre de la grande exposition consacrée à Gustave Caillebotte, Caillebotte, peindre les hommes au Musée d’Orsay à Paris (8 octobre 2024- 19 janvier 2025), une série de conférences est proposée à l’auditorium, notamment « Rencontre dansée avec Angelin Preljocaj ».

L’accrochage, intitulé « Caillebotte, peindre les hommes », révèle la représentation de nombreuses figures masculines et de portraits d’homme.

Angelin Preljocaj, invité prestigieux de la soirée, est doublement inspiré par le peintre et par cette thématique, comme le développe une conférence – discussion menée par la journaliste Claire Chazal.

Le chorégraphe conçoit un ballet pour inaugurer la soirée, mettant en scène 2 danseurs, interrogeant la masculinité, celle d’une époque et celle contemporaine.

En costume de ville, pieds nus, le duo se toise, s’accole et se sépare, s‘éloigne et se retrouve dans des gestes précis et des déplacements synchrones, affichant un soutien réciproque, fraternel. Puis, les deux hommes quittent leurs vêtements, torse nu et slip noir, positionnés face à face ou cote à cote ; ils entament une toilette grâce aux deux bassines d’eau posées au sol, renvoyant l’image même et la situation de l’œuvre « Homme au bain » (1884) alors qu’ils se dénudent totalement.

Les jeux de lumière soulignent leurs statures debout affirmées, leurs dos, fesses et poitrines musclés, leurs mobilités profilées, leurs échanges vifs et portés virils, puis des gestes de lavage deviennent lents, tactiles, l’assise sur un tabouret avec une serviette en main permet le séchage des différentes zones du corps. Ces attitudes dévoilant leur intimité restent sobres, pour finir par un rhabillage simple, mettant fin à ces moments habituels que chacun connaît et exécute souvent sans réelle conscience, soulignant ici implicitement la fragilité et le respect délicat que l’on doit accorder au corps.

Lors de la discussion, Angelin Preljocaj revient sur le duo masculin qui est d’abord celui du peintre et son modèle ; sur la chorégraphie qu’il a voulu emprunte de douceur et de sensualité plutôt que de sexualité ; sur le réalisme des poses et mouvements exacerbant l’anatomie humaine. Il insiste alors sur la vision du dos nu et l’expressivité qui s’en dégage puisée dans les profondeurs du corps, marqué de l’identité même de l’artiste, tel-le dans le passé avec Isadora Duncan qui, déjà, révélait la chair. La peinture, et autres arts, source de rythmicité et d’énergie, viennent nourrir et inspirer la créativité du danseur chorégraphe.

La poursuite de la soirée en atteste avec le célèbre tableau « Raboteurs de parquet » (1875), lequel renvoie à une chorégraphie de Preljocaj effectuée en 1988, Projection de raboteurs , grâce à la captation audiovisuelle  réalisée par Cyril Collard.

Le film déroule l’activité éreintante de trois ouvriers – danseurs, dont Angelin Preljocaj « il y a plus de 35 ans ! ». Comme un écho à l’œuvre peinte, torses nus, ils s’adonnent au labeur exténuant par gestes puissants, répétés, à genoux ou semi-allongés et fugacement tendus ou autres postures plus contemporaines afin de raboter, s’en échappant par quelques pirouettes pour respirer à la fenêtre de la pièce et reprendre leur tâche, arrachant au parquet des copeaux de bois.

Lors de la discussion, assis en bord de scène de l’auditorium et dans cette proximité, Angelin Preljocaj confie avoir été particulièrement frappé par cette oeuvre de Caillebotte : « la danse peut s’emparer d’un tel tableau avec les dos arqueboutés, en plongée légère, et avec la lumière ». « C’est une expérience pour moi, donner une forme à partir d’une intuition produite par la vue du tableau », et d’ajouter « mon père était menuisier, dans la banlieue parisienne, cette chorégraphie est un hommage à mon père ». 

Il évoque la confrontation à la matérialité du corps dansant qui devient signe et fait sens. « La danse est écriture et la virtuosité peut être dans quelque chose de très simple qui prend une force incroyable », ressentie par le spectateur même.

Au fil des questions du public, il dit aussi travailler sur telle musique, ou sans, ou au métronome, ou autre ; sur l’aspect narratif ou abstrait de la danse qui ouvre l’imaginaire ; sur la gravité du corps et ses différents types, laissant planer des réminiscences de ses magnifiques ballets comme « Romeo et Juliette », « Gravité »… pour clore la soirée.

Paris, Auditorium du Musée d’Orsay, 12 décembre 2024

Antonella Poli/Jocelyne Vaysse

 

 

 

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