Trittico Balanchine/Robbins
Chorégraphie : George Balanchine, Jerome Robbins
Distribution : Nicoletta Manni, étoile, les premiers danseurs et le Corps de Ballet du Théâtre alla Scala de Milan
Musiques : Tchaikovsky, Chopin
Le ballet du Théâtre alla Scala de Milan a terminé sa saison 2023/24 avec un triptyque composé par Theme and Variations de George Balanchine et deux nouvelles productions, Dances at a gathering et The Concert de Jerome Robbins.
Ce programme montre encore une fois l’ouverture et l’engagement de Manuel Legris, directeur de la danse, pour accroître le répertoire et faire évoluer la compagnie du théâtre milanais.
Theme and Variations
Theme and Variations, sur les musiques de la Suite n.3 de Tchaïkovski, représente l’hommage du chorégraphe à la tradition du ballet impérial russe. Sa structure est très classique avec la présence d’un couple principal et le Corps de Ballet qui joue un rôle aussi important. Quatre solistes complètent la distribution.
Des variations virtuoses sont réservées aux danseurs principaux : pour la femme, Balanchine réserve fouettés et batteries qui valorisent l’agilité de la ballerine ; pour l’homme, des grands sauts dont des tours en l’air, symbole de sa puissance. La danse harmonieuse du Corps de ballet exalte le classicisme et la structure géométrique de la chorégraphie.
Comme dans tous les ballets classiques, on retrouve un pas de deux central où le couple, guidé par les notes du violon, exprime sa beauté et sa royauté au travers des figures et des enchainements difficiles qui demandent une parfaite entente entre les danseurs. Les deux couples principaux que nous avons pu admirer ont été d’une part, celui composé par l’étoile Nicoletta Manni et le premier danseur Timofej Andrijanshenko, et d’autre part celui avec les sujets Maria Celeste Losa et Navrin Turnbull. Si le premier couple a été mis en valeur par la performance de Nicoletta Manni, toujours très précise d’un point de vue technique, le deuxième a révélé les qualités du jeune danseur très prometteur Navrin Turnbull, aux lignes épurées et doué d’une bonne présence scénique. Le danseur sera encore mis en valeur dans le Casse-Noisette de Noureev le 5 et 9 janvier 2025 où il interprétera le rôle principal du Prince / Drosselmeyer.
Le génie et la sensibilité envers l’humanité de Jerome Robbins ont été mis à l’honneur avec les ballets Dances at a gathering et The Concert, pièces complètement différentes par leur esprit.
Dances at a gathering
Jerome Robbins a créé Dances a Gathering pour le New York City Ballet le 22 mai 1969. Ce ballet marque le retour du chorégraphe au sein de la compagnie américaine après treize ans d’absence. En 1956, il avait en effet créé The Concert.
La structure chorégraphique est basée sur des séquences marquées par des pas légers et aériens, enrichis de sentiment. Leurs successions sur scène représentent des rencontres joyeuses, ou symbolisent des relations amoureuses qui se déroulent dans un monde imaginaire caractérisé par des scènes ensoleillées et mystérieuses. Mais le ballet reste une œuvre abstraite, la pureté du style adopté par Robbins et son inventivité restent constantes. La musique de Chopin représente aussi un élément essentiel : le mouvement dansé se fond avec chaque sonorité du piano, magistralement joué par Leonardo Pierdomenico.
Dances at a Gathering est dansé par dix danseurs, cinq hommes et cinq femmes, et se compose de quatorze séquences, chacune correspondant à un morceau de musique de Frédéric Chopin. Les couleurs pastel des costumes – bleu, vert, rose, violet, brun, jaune, terracotta – identifient chaque danseur, faisant écho aux différents rythmes et émotions véhiculés par la musique.
L’écriture néoclassique alterne sauts, courses, portés acrobatiques qui se cristallisent dans des poses harmonieuses et rêveuses tout en restant totalement naturelles à nos yeux.
La chorégraphie demande une grande attention pour travailler le pas de deux afin de créer l’harmonie et l’esprit de complicité entre les partenaires. Mais attention car un des aspects les plus originaux de Dances at a Gathering vient aussi du fait que les pas de deux ne sont pas conçus pour des couples fixes. Les danseurs se relaient, s’échangent entre eux, établissant comme un jeu entre amis et amants.
La relation entre le danseur et la danseuse est paritaire, dans le sens où les deux interprètes s’inspirent l’un l’autre, suggérant des gestes et des pas à exécuter, signe d’une grande complicité. Dans ces moments, ils transmettent avec délicatesse et intimité leur désir de séduction et d’intimité tout en préservant l’aspect virtuose des variations qu’ils exécutent. La qualité et la finesse qui les caractérisent contribuent à transmettre la charge émotionnelle et à se laisser envoûter par une beauté limpide.
Parmi les pas de deux les plus significatifs, nous pouvons rappeler, par exemple, celui sur la Valse, Op. 69 n° 2, dans lequel les danseurs semblent établir un dialogue mélodieux représenté par la fluidité des mouvements qui s’avère particulièrement significative dans les ports de bras qui créent un magnétisme entre les protagonistes et les font voyager dans l’espace, ou celui dansé sur la Mazurka adagio, Op. 33 n° 3, exemplaire pour ses caractéristiques aériennes grâce à la délicatesse dans l’exécution des nombreux portés.
Le pas de deux sur la Grande Valse brillante, opus 42 n°2, met en valeur la virtuosité des interprètes qui s’amusent à exécuter des échappements, des passés retirés et des sauts à toute vitesse. Leur danse est très joyeuse et leurs regards s’attirent : ils se poursuivent, se retrouvent en créant des jeux espiègles. Le bref moment de calme n’est qu’une brève parenthèse pour la brillante reprise avec une série de glissades et de sauts des chats.
La figure féminine à forte personnalité et consciente de son potentiel émerge dans le solo sur la musique de l’Etude op. 25 n°4.
Un moment particulièrement festif apparaît sur la Grande Valse Brillante op.34 No.1 dansée avec brio par trois couples unis par des relations amicales. Leur entrée en scène est surprenante grâce aux temps levés qui suspendent le regard du spectateur.
Le ballet se termine sur la musique du Nocturne op.15 No.1 où tous les danseurs entrent en scène en avançant dans une atmosphère presque mélancolique, exprimant la perplexité, et se placent face aux spectateurs le regard perdu dans leurs pensées suspendues entre rêve et réalité. S’inclinant poliment l’un devant l’autre, ils se remercient puis se retrouvent en couple et quittent la scène en marchant doucement.
Dances at a Gathering est un jardin des délices célébré par l’interprétation superlative des dix danseurs du ballet de La Scala (Nicoletta Manni, Martina Arduino, Alicia Mariani, Linda Giubelli, Asia Matteazzi, Claudio Coviello, Timofej Andrijashenko, Darius Gramada, Rinaldo Venuti et Gabriele Corrado) qui ont su s’approprier l’analyse de la nature humaine sous-jacent à l’œuvre.
The Concert
L’âme de comédien musical de Jerome Robbins ressort dans The Concert (ou les malheurs de chacun) (1956), encore sur des musiques de Frédéric Chopin. L’ironie domine du début à la fin. Le chorégraphe construit le ballet sur une série de sketchs inspirés de moments de vie commune, notamment la divergence de goûts entre un homme et une femme à l’écoute d’un concert. Il livre aussi une parodie du ballet classique, imaginant un groupe de danseuses qui volontairement manquent de coordination entre elles, ou les transformant en poupées inertes transportées par leurs partenaires. Le personnage principal, La Ballerine, est dansé le 16 novembre par Letizia Masini et le 17 par Agnese di Clemente et toutes les deux imprègnent leur interprétation avec les justes nuances. La Ballerine, avec sa combinaison bleu ciel et son grand chapeau, représente les aspects coquins et vaniteux de la femme.
Le Ballet du Théâtre alla Scala de Milan ouvrira sa prochaine saison le 18 décembre prochain avec Casse-Noisette de Noureev : Hugo Marchand, étoile de l’Opéra national de Paris dansera avec la première danseuse de La Scala Alice Mariani.
Milan, Théâtre alla Scala de Milan, 16-17 novembre 2024
Antonella Poli