The Cloud

Chorégraphie : Arkadi Zaides

The Cloud-ph.Giuseppe Follacchio

Le festival Montpellier Danse a présenté The Cloud, une performance d’Arkadi Zaides

Né en Biélorussie en 1979, Arkadi Zaides enfant suit sa famille qui émigre en Israel en 1990 ; il devient un danseur qui intègre la Batsheva Dance Company, qui promeut plus tard la danse au plan documentaire, notamment auprès de la jeunesse. Il s’installe en France et fonde en 2015 à Villeurbanne (près de Lyon) sa compagnie Institut des Croisements.

Interviewé par le directeur du festival Jean-Paul Montanari cette année, il aborde le poids socio-politique de la violence structurelle. Il révèle se référer au concept écologique « d’hyperobjet » du philosophe américain contemporain Timothy Morton en tant qu’évènements ou problèmes connus des humains sans en maitriser certains effets préoccupants ou destructeurs.

Arkadi Zaides a entrepris la création de The Cloud en résidence à lAgora en 2023.

Face au public disposé en angle, deux écrans géants reçoivent une multitude de données numériques simultanées grâce à l’intelligence Artificielle, le staff technologique étant sur le plateau.

Assis sur un haut tabouret au centre de la scène, Arkadi Zaides entreprend en anglais la longue lecture d’un document. Le texte s’inscrit sur les écrans en lignes blanches très serrées accompagnées d’un bandeau succinct de traduction en français. Les écrits défilent, évoquant un projet de film, une population locale avertie 20 secondes avant l’effondrement d’un immeuble à Gaza photo à l’appui, et encore des immigrés, un jour d’école avec des enfants souriants, un couple heureux, des parents en âge… En fait, la densité du récit nous convie à s’intéresser à une famille vivant près de la frontière biélorusse. Sa famille.

Les photos et écritures continuent de tapisser les écrans et on comprend que cette accumulation visuelle et vocale est voulue, comme l’absence de propos préalables à la représentation, renforçant la sensibilité des spectateurs à l’annonce qui suit.

ph.Laurent Philippe

Car « l’hyperobjet » dont il est question ce soir, au travers des informations dites et projetées, est la tragédie de Tchernobyl : la fusion, l’explosion et l’incendie du réacteur no 4 de la Centrale nucléaire de Lénine survenue dans la nuit du 26 Avril 1986 en terre ukrainienne de la République socialiste soviétique, proche de la Biélorussie. Le « cloud », à côté de l’IA que chacun utilise, est aussi la réalité de ce nuage radioactif effrayant et gigantesque qui envahit les écrans ; il est secondaire à un test mal exécuté par un personnel mal informé par les instances responsables administratives opaques.

Surtout, on perçoit le drame « de l’intérieur », dont les répercussions immédiates sur les corps des adultes et enfants irradiés (Arkadi Zaides avait 7 ans), les suites sanitaires rapides mal gérées, les brûlures profondes, les problèmes thyroïdiens et les cancers à venir … malgré les tentatives d’enfermement, d’isolement prolongé et de certains soins.

Les  photos, échappées d’albums de la famille avant la catastrophe, jouxtent celles qui montrent le désastre environnemental désorganisant les vies, la situation locale des morts et des affolements désespérés avec des documents argentiques d’époque endommagés par réaction chimique, le recueil d’histoires douloureuses par la journaliste Svetlana Alexievitch publiées dans son ouvrage. L’angoisse sociétale jauge le vent qui étend les poussières radioactives mortelles sur la région, ainsi que vers la Scandinavie et l’Europe.

Arkadi Zaides interrompt sa lecture pour se précipiter sur un paquet qu’il déballe avec célérité, télescopant son mouvement actuel avec ses souvenirs autour du paquet véritable dont l’ouverture fut différée plusieurs jours par peur de contamination. Il contient une combinaison, semblable à celle visible sur les écrans et portée par des personnes volontaires.

Ils sont « les liquidateurs » (600 000 ouvriers des environs) visant à « nettoyer » les lieux en ruine chargés de radioactivité, exposés à la mort ou aux handicaps, faute de pouvoir actionner des robots qui tombent en panne du fait d’une extrême chaleur ambiante ; ils sont chargés aussi de tuer les animaux dont le pelage contaminé est dangereux pour eux et autrui.

ph.Laurent Philippe

L’artiste devient un « bio-robot » sous nos yeux : il enfile fébrilement la tenue, agite ses bras et crie en pointant les responsables absents ; il ajuste un masque à gaz pour défier l’air saturé en particules toxiques. Il  déambule, titube sur le plateau dans un bruit assourdissant de machines, puis tente, en suffoquant, de s’extirper de cet accoutrement qui pourrait bien devenir un linceul. Alors qu’il est épuisé, écroulé au sol, on est informés de la suite donnée à ce genre de mission quant aux survivants : « Félicitation, Vous recevrez un certificat d’honneur ». Des zones d’évacuation, d’exclusion et de restriction sont décidées ; un premier sarcophage est construit autour du réacteur dans l’année.

L’artiste est rejoint par un deuxième danseur en tenue, un compagnon pour s’encourager, résister, survivre ; ils évoluent ensemble librement. Le public, en proie à de fortes émotions, saisit l’ampleur et la gravité du vécu de ces hommes, parallèlement aux « nouvelles » internationales plutôt limitées et données sur un ton plutôt neutre ; aux « fake news » concernant, entre autre, l’aspect minoré des faits en terre russo-soviétique.

Les témoignages, délivrés pendant une heure, ont avivé la dimension humaine de cette catastrophe, suggérant qu’une telle séquence mortifère pourrait bien aujourd’hui se rejouer dans tout endroit du monde. Jusqu’à détruire la planète et l’humanité. Frémissements et remerciements soutenus de l’ensemble du public.

Montpellier, Théâtre de l’Agora, 25 juin 2024

Jocelyne Vaysse

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