Deepstaria
Chorégraphie : Wayne McGregor
La 44ème édition du Festival Montpellier Danse, sous l’ultime présidence de Jean-Paul Montanari est honorée de la venue de Wayne Mac Gregor et de sa Compagnie fondée en 1992, en soulignant sa longévité car elle a fêté son 30e anniversaire l’année dernière. Ils présentent Deepstaria, dernière création.
Les propos
Le chorégraphe britannique, résident du Royal Ballet de Londres depuis 2006, assure l’ouverture du festival à l’Opéra Berlioz Le Corum avec Deepstaria. Cette pièce, création mondiale 2024, montre un gout d’avant-garde par l’alliance prolifique de la danse et de la musique avec l’intelligence artificielle (IA). Deepstaria est aussi la première partie d’un diptyque, la seconde partie étant annoncée pour l’année prochaine.
Wayne Mac Gregor s’était déjà confronté aux technologies numériques en 1996 avec son solo Cyborg calquant une gestuelle robotique. Cette mobilité particulière n’est pas sans rappeler le logiciel Life Forms créé par Merce Cunningham qui proposait des postures mécaniques improbables obligeant les danseurs à chercher une adaptation compatible avec l’anatomie humaine.
Le concept et le design sont insufflés par Wayne Mac Gregor lui-même, cultivant l’inventivité avec Deepstaria.
Ainsi, cette dénomination renvoie à une famille de méduse peu connue, sans tentacules, dotée de capacité régénérative, bio-luminescente dans l’obscurité des fonds marins. D’autre part, la pièce inédite est soutenue par un système acoustique innovant du à l’ingénieur du son français oscarisé Nicolas Becker et à Lexx, co-inventeur d’un moteur audio-numérique « Bronze AI » qui, « continuellement recompose le paysage sonore scénique ». Enfin, la « technologie Vantablack » créée une luminosité qui perturbe la perception de l’obscur pour tendre vers une impression de vide profond et d’immensité.
La pièce
Les neuf interprètes de la Compagnie nous entrainent dans un monde propice à l’imaginaire et, par projection, avivent notre sentiment de finitude comme nos échappatoires intuitives en plongeant dans les profondeurs de l’inconscient ou en flottant dans les strates éthérées de l’univers.
Si histoire il y a, elle est celle, en filigrane, d’une méduse en évolution, vivant une dramaturgie saisissante où se succèdent des tableaux grandioses inscrits entre le réel et le virtuel. Une vibration sonore prolongée et de larges raies de lumière perçant le vide du plateau introduisent les artistes vêtus de simple maillot et brassière noirs exposant la beauté de corps malléables, susceptibles de transformations.
Les variations d’éclairage métamorphosent les combinaisons dansées, tantôt surgissement de flashs lumineux, tantôt atmosphère bleutée grisée et embrumée, tantôt rayonnement diffus interrompu par des effets stroboscopiques, tantôt carré noir imposant en fond de scène, jusqu’à la montée d’une marée orangée muée en une vertigineuse inondation incandescente qui submerge scène et public.
Les danseurs démontrent leur virtuosité lors de petits groupes enchevêtrés et fébriles, ou s’en séparant pour s’élancer dans des solos brefs et impressionnants ; lors de duo – trio aux portés audacieux ; ou encore lors d’un état statique vite réanimé par des modulations sonores puissantes, grondantes, corrélées aux jeux lumineux. La série de tableaux suivants, par contraste, associe une douceur lumineuse et un apaisement sonore. Des interprètes en justaucorps blancs, comme asexués, déroulent des évolutions fluides et gracieuses, poétiques, répondant aussi à des fluctuations intenses.
Par une autre transformation, les costumes deviennent des tuniques légères opalescentes. Les gestes captent des formes évanescentes, se synchronisent par un mimétisme interactif et transitoire d’où naissent des ensembles ondulants qui se déploient.
Cette mouvance prodigieuse se répète, offrant de vastes gammes posturo-gestuelles, sensibles à des crépitements sonores : sursauts, arabesques, portés, étirements… jusqu’à un fracas musical brutal amenant les danseurs à s’agripper par les bras pour, ensuite, se soustraire à cette diagonale enchainée et poursuivre librement.
Mais la lumière rosit, pâlit, certains s’allongent et s’immobilisent comme plaqués au fond des océans, alors que la musique enfle et qu’une danseuse, bras en tension vers l’immortalité de l’univers, est prise de secousses et s’enfonce à pas lents dans une obscurité infinie…
Le système sonore informatisé, en résonance et en réciprocité avec les évolutions chorégraphiques, élargissent le champ des expériences artistiques physiques et numériques. Mais aussi dans le temps et dans l’espace, dans le réel de la scène et dans le métavers, renouvelant constamment le grand plaisir du public.
Montpellier, Opéra Berlioz Le Corum, 24 juin 2024
Jocelyne Vaysse