Sol invictus
Chorégraphie : Hervé Koubi
Dans le cadre du Festival de danse Cadences, le Théâtre Le Miroir, dans la commune Gujan Mestras proche d’Arcachon, accueille Hervé Koubi, danseur et chorégraphe international franco-algérien avec sa Compagnie Hervé Koubi . La pièce présentée la deuxième soirée du festival, Sol Invictus, première française, est conçue dans une collaboration entamée depuis 2017 avec Fayçal Hamlat, danseur et chorégraphe issu des danses urbaines.
Le propos
Sol invictus est un soleil invincible, celui qui brille sans fin pour célébrer la danse, en s’appuyant symboliquement sur la célébration du soleil, « culte qui remonterait au 3e siècle après Jésus-Christ, lors du solstice d’hiver ».
La pièce est avant tout portée par un élan vital prodigieux, proche de l’inépuisable, tant la vigueur des quinze danseurs et danseuses semble se régénérer en permanence afin d’aborder, par vagues continues, le plateau.
Les interprètes, issu-e-s du monde entier, montent à l’assaut dans un ordre calculé malgré des apparences d’improvisation qui restent mineures ; ils déploient un savoir chorégraphique puisé majoritairement dans le style hip hop ou new style au creuset des danses urbaines, où l’on repère quelques positions académiques élargissant ainsi le champ de la danse.
Leur endurance et leur engagement éloquents sont soutenus par une musique qui conjugue des créations du suédois Mikael Karlsson, de Maxime Bodson et de Steve Reich, mêlées à des airs traditionnels et des œuvres de Beethoven.
Le spectacle
Après une courte entrée en silence dans une salle comme embrumée, les artistes démarrent des courses intrépides sur un tapis de sol mordoré, et déjà jaillissent des figures caractéristiques de la break-dance et autres innovations esthétiques quasi acrobatiques.
Les roues, tournoiements sur le dos, sauts et retombées culbutées, sauts renversés, sauts pirouettés, détentes explosives, postures décalées, déplacements faufilés, reptations, glissades… abondent, sollicitant en permanence coordination, gesticulation millimétrée et flux énergétique contrôlé.
Dans cet enivrement juvénile, se renouvellent les attitudes emplies de rotations en équilibre sur la tête avec les spin-head, ou encore sur un bras tendu, en maintenant remarquablement vélocité, durée et tenue axiale, soulignés par des jupes courtes virevoltantes enfilées sur les pantalons.
Si toutes les figures sont admises, le hip hop l’est aussi pour le genre humain, la compagnie incluant sur scène un danseur unijambiste offrant une posturo-gestualité habile, venant grossir la diversité urbaine du plateau.
Un grand-voile est soulevé, la cadence rythmique ralentit et la lumière faiblit. La marche lente et le balancement synchrone de silhouettes dans une pénombre momentanée cèdent ensuite la place à une scène lumineuse, aux accents bibliques, si ce n’est sacré, avec des portés en hauteur triomphants et des gestes d’élévation dédiés à un dieu, transcendant la danse.
Les performances, et sa débauche de mouvements imposant une physicalité à toute épreuve et l’émotion qu’elle suscite, reprennent, entourant au passage le danseur handicapé assis tel un messie au centre de l’attention, ou la suggestion d’un-e Elu-e au sein d’une communauté.
La liesse des artistes, et leur envie infinie d’une danse elle aussi infinie, aux vertus communicatives, envahit un public captif, envieux de leur plaisir. Mais au-delà de leurs prouesses jusqu’au vertige, le temps du salut final est là, très applaudi, redoublant quand Hervé Koubi les rejoint.
La soirée est-elle terminée ?
La sortie de spectateurs peu pressés de quitter cette ambiance festive et la présence du chorégraphe facilitent une discussion au bord du plateau.
Hervé Koubi égrène le nom des interprètes qui rejoignent la salle, s’alignant assis côte à côte, fiers et heureux, affichant ainsi la composition multiethnique, culturelle et cultuelle de la Compagnie.
Répondant aux questions, il est invoqué le travail sous-jacent exigeant, le recrutement fait par « auditions et recherches sur les réseaux sociaux », le désir dévorant de danser, la communion empathique.
Les jeunes confirment les forts sentiments de fraternité et de solidarité, la danse incorporée « par passion » ; certains témoignent de la venue à la profession « par accident », « par le projet de devenir danseur ».
Hervé Koubi, interpellé sur sa source d’inspiration, précise : « il y a un prétexte à danser, je voulais rassembler en dansant…, c’est magique ». « C’est quoi rassembler en dansant ? Il y a quelque chose de rituel, des rites anciens… sans avoir à me justifier ! ». Il dit l’amour chaleureux qui sous-tend « ses 3 R » : « Rassembler – Réconcilier – Rotation sur la tête » et il insiste sur les techniques spécifiques requises, en percevant des dénominateurs communs (hip-hop, classique…) dont la proprioception, le sens de l’équilibre, l’entrainement constant.
L’enthousiasme pour la culture hip hop et le métissage qu’elle promeut est évident : avec certitude, «Sol Invictus convoque l’espoir ».
Gujan Mestras, Théâtre Le Miroir, 19 septembre 2023
Jocelyne Vaysse