On achève bien les chevaux
Distribution : CCN Ballet de l'Opéra national du Rhin et la Compagnie des Petits Champs
Bruno Bouché, directeur artistique du CCN Ballet de l’Opéra national du Rhin, nous a habitué à vouloir donner une nouvelle identité à sa compagnie ; son héritage classique est employé à côtoyer d’autres formes d’art, notamment le cinéma et la littérature. Les ballets Chaplin, Fireflies et Les Ailes du désir en constituent des exemples.
Le propos
Pour cette nouvelle création, On achève bien les chevaux, présentée au festival Le Temps d’aimer, le CCN Ballet de l’Opéra national du Rhin s’associe à la compagnie de théâtre des Petits Champs dirigée par Clément Hervieu-Léger pour une relecture intense du roman éponyme de Horace McCoy, repris au cinéma par Sydney Pollack qui marqua sa popularité.
Le roman livre une vision crue, impitoyable, des marathons de danse, manifestations nées à l’occasion du krach boursier américain des années 30 où les participants dansaient pendant des mois jusqu’à l’épuisement pour gagner des dollars et survivre. Clément Hervieu-Léger, à propos du roman, souligne qu’il s’agit d’une œuvre « pessimiste sur la nature humaine ». Le metteur en scène a travaillé avec Bruno Bouché avec l’esprit de se plonger dans le roman pour en saisir toutes les facettes humaines. Il ne faut pas s’attendre à une version chorégraphique car, sauf quelques moments d’ensemble construits chorégraphiquement dans le plus vrai sens du terme, le public assistera plutôt à une œuvre complète qui dépasse les frontières entre théâtre et danse. En fait, le directeur artistique du CCN Ballet de l’Opéra national du Rhin a voulu questionner la notion de théâtre – danse pour lui ouvrir une nouvelle dimension.
Le spectacle
La Salle Luaga de Bayonne est comble, les derniers préparatifs pour le début du marathon sont en cours, les musiciens sont à leur place, le public aussi.
Sous la houlette magistrale de Daniel San Pedro, co-directeur de la compagnie des Petits Champs qui joue le rôle du patron de la manifestation, les participants arrivent. Les règles sont très strictes et implacables, seulement quinze minutes de repos toutes les heures pour dormir, manger, se reposer.
La compétition commence, la lutte entre les participants se révèle dès les premières minutes. Ils sont tous là pour chercher des moyens pour survivre ; une femme enceinte ne s’épargne pas non plus. L’entente entre les trente-deux danseurs du Ballet de l’Opéra national du Rhin, les huit comédiens et les quatre musiciens de la compagnie des Petits Champs est remarquable ; l’amalgame des deux troupes fonctionne à merveille. Daniel San Pedro, avec ses récits et sa voix, sait créer le juste rythme pour le déroulé et imprégner l’atmosphère avec toute la gravité qui pèse sur les danseurs. Mais il se fait remarquer aussi dans un moment dansé de légèreté – le seul – où l’artiste fait un clin d’œil au style de Bob Fosse.
De leur côté, les autres interprètes dansent, dansent… les corps commencent à se déchirer, les muscles cèdent mais la perspective d’une victoire l’emporte sur toute faiblesse physique.
Cela apparaît de manière impitoyable dans les « derbys », où les interprètes sont obligés de courir, courir en cercle et appelés à créer des figures, notamment des passes aériennes, pour gagner des points. L’engagement de tous est sans limites.
Le marathon représente une triste réalité sociale et la lutte pour survivre à la pauvreté (on est même obligé de se marier pendant la manifestation en échange de cinq cents dollars pour rêver un futur), mais il subit aussi les conséquences des luttes civiles de la société américaine, notamment celles de la ligue de la moralité des mères qui réussit à le faire interdire et mettre fin à la compétition. Tout s’effondre : des espoirs, des vies succombent face à une décision de justice et non pas du fait de leur épuisement.
On quitte la salle Luaga de Bayonne en se demandant quelle sera la suite de ces formes de collaboration entre danse et théâtre, le chemin est ouvert…
Bayonne, Salle Luaga, 9 Septembre 2023
Antonella Poli