Sous les fleurs
Chorégraphie : Thomas Lebrun
Distribution : Antoine Arbeit, Raphael Cottin, Arthur Gautier, Sébastien Ly, Nicolas Martel
Après son dernier solo, L’envahissement de l’être (danser avec Duras) inspiré de la célèbre écrivaine française , Thomas Lebrun tourne son regard sensible vers la population des Muxes, résidant au sud du Mexique, plus précisément vers Juchitán. Cette communauté défend l’existence et la liberté d’une sexualité qui dépasse la différence entre les genres masculin et féminin pour l’affirmation d’un troisième genre.
Cette dernière création, Sous les fleurs, présentée dans le cadre du festival Tours d’Horizons organisé par le CCN de Tours et résultat d’une résidence de travail à Juchitán, se plonge dans l’univers des Muxes, valorisant leurs coutumes, leurs habitudes, leur sensibilité. Thomas Lebrun adopte le rythme de la lenteur pour faire émerger leur état intérieur et leur manière de sentir leur propre vie. Cela dès le début, quand les cinq interprètes (Antoine Arbeit, Raphael Cottin, Arthur Gautier, Sébastien Ly, Nicolas Martel) tous en costumes traditionnels brodés et fleuris se présentent, formant un groupe sculptural, et font parler leurs mains au travers de gestes fluides et délicats qui invitent le public à se rapprocher de leur intimité.
Les lumières créées par Françoise Michel soulignent ce moment, amplifié aussi par les premiers mots des récits de Felina Santiago Valdivieso (fondatrice du groupe Muxe Las Autenticas Intrepidas Buscadores del Peligro) qui marqueront toute la pièce : « Ici, être Muxe est une découverte collective, pas individuelle. Parce que depuis qu’on marche, depuis qu’on parle, tout le monde autour de nous sait qu’on est des Muxes. Eux, euh…les parents, ils savent aussi qu’on est des Muxes depuis qu’on est petits… ».
Puis on est amené au fur et à mesure à partager des scènes de leur vie. Au cours d’une marche lente, où des mouvements ondulatoires des corps accompagnent les pas des interprètes, on comprend que les Muxes aiment coudre, c’est un des aspects de leur quotidien. Ils transmettent leur état d’apaisement grâce aussi aux fréquentes poses figées qui se révèlent chargées de signification pour les spectateurs. Les regards sont intenses, laissant transparaître à la fois l’affirmation de leurs personnalités et peut-être une inquiétude légitime sur la possibilité de continuer à vivre librement leur sexualité. Où est la norme ? S’agit-il de préserver l’intégrité morale de ces êtres humains ou de l’étouffer au nom d’un certain pouvoir normatif ?
C’est sur ce point que le registre de la pièce change. Les corps deviennent tremblants, s’agitent comme busculés par un tremblement de terre. Les soli expriment angoisse, agitation et nervosité et en même temps une prise de conscience de l’impuissance de ceux qui veulent combattre l’existence de leur diversité. Symboliquement, les interprètes ont précédemment commencé à se priver de leurs jupes brodées et de leurs bijoux. Le sentiment d’apaisement de la première partie cède la place à une atmosphère bouleversante, sombre et douloureuse. Thomas Lebrun montre avec lucidité une possible destruction de cette communauté. Il emploie le lyrisme d’un extrait du Spectre de la rose d’Hector Berlioz ; désormais, les interprètes s’habillent en costumes complétement masculins, cédant à l’imposition des lois normatives. Ils se retrouvent réunis en groupe comme au début de la pièce sur le fond de la scène : leurs habits ont changé mais leur vraie intimité reste cachée.
Le public du Théâtre Olympia – CDN de Tours bouleversé et touché, reconnait la profondeur de Sous les fleurs avec de longs applaudissements.
Tours, Théâtre Olympia, 5 juin 2023
Antonella Poli