L’Opéra national de Paris et le Théâtre alla Scala de Milan sur les pas de Noureev

Chorégraphie : Rudolf Noureev

Musiques : Piotr Ilitch Tchaïkovski

Le Lac des Cygnes, Opéra national de Paris-ph.Jonathan Kellerman

En cette fin d’année, l’esprit de Rudolf Noureev anime deux compagnies de ballet parmi les plus importantes d’Europe : le Ballet de l’Opéra national de Paris et le Ballet du Théâtre alla Scala de Milan. Deux ex-étoiles de l’Opéra national de Paris les dirigent : José Martinez qui a pris ses fonctions le 5 décembre dernier après la démission d’Aurélie Dupont) et d’autre part Manuel Legris appartenant à la même génération de danseurs ayant directement hérité du patrimoine Noureev, directeur du Ballet de l’Opéra national de 1983 à 1992.

En fait on retrouve à l’affiche de ces deux importantes institutions, le Lac des Cygnes et Casse-Noisette dans les versions de Rudolf Noureev.

Les deux œuvres du célèbre danseur-chorégraphe créées dans l’ordre en 1964 (Opéra de Vienne) et 1967 (Opéra Royal de Stockholm) requièrent une grande maîtrise de la technique classique : il suffit de se souvenir de la variation du premier acte de Siegfried et les variations du troisième acte du Lac des Cygnes ou bien les pas de deux du deuxième acte entre Clara et le Prince du Casse-Noisette. Mais les relectures de Rudolf Noureev ne sont pas seulement liées aux passages virtuoses et techniques car elles naquirent d’une réflexion plus profonde sur le contenu en leur donnant des significations oniriques et en valorisant les aspects psychologiques des personnages.

Derrière l’histoire fantastique d’Odette, femme idéalisée transformée en cygne par le maléfice de Rothbart dans le Lac des Cygnes et la nuit de Noel vécue par Clara à côté de son Casse-Noisette/Prince se cachent les désirs, les passions, les faiblesses, les troubles de l’esprit humain. Ces qualités rendent immortelles ces œuvres bien que nombreux chorégraphes contemporains aient déjà essayé à plusieurs reprises de les remanier et de les reconstruire en s’éloignant des sujets originaux mais sans jamais les dépasser. Le débat est toujours ouvert sur la valeur de la présence de ces « anciens ballets » dans les répertoires des compagnies mais le succès remporté soit à Paris soit à Milan constitue  pour tous les effets la juste réponse que sont les salles combles et l’enthousiasme du public.

Le mérite va sans doute aussi aux danseurs qui, encore aujourd’hui, se plongent avec leurs sensibilités dans ces chefs d’œuvres en leur apportant leur fraîcheur, une gestuelle qui évolue avec nuance tout en respectant les règles du ballet classique. La danse classique ne peut pas se passer des évolutions de notre époque : les corps des danseurs changent, le contexte social dans lequel ils vivent n’est plus le même, les formes expressives de communication évoluent.

A l’Opéra national de Paris les étoiles Valentine Colasante (Odette/Odile) et Paul Marque (le prince Siegfried) ont interprété les deux rôles principaux du Lac des Cygnes avec une aisance naturelle incarnant leurs personnages de manière réelle arrivant presque à créer une nouvelle dramaturgie. On ne retrouve plus une Odette spirituelle, éthérée mais une figure plus humaine, qui laisse exprimer son corps totalement. Les scènes de tendresse du deuxième acte touchent le public, elles sont charnelles ; les intentions implicites de la variation du premier acte du Prince Siegfried, âme troublée par la recherche d’un idéal spirituel, se manifestent d’une façon explicite perçue par le public.

Paul Marque a confirmé ses capacités non seulement techniques mais aussi interprétatives pour rendre les rôles classiques vivants. Quant à sa partenaire, Valentine Colasante, elle a bien préparé son rôle du cygne blanc créant la surprise. Au vu de sa personnalité et d’autres rôles interprétés dans le passé notamment celui de Gamzatti, pour n’en citer qu’un, on l’attendait au rendez-vous surtout dans le cygne noir qui demande une personnalité plus marquée. Jérémy-Loup Quer dans le rôle de Rothbart a s’est distingué dans le pas de deux avec le Prince du premier acte et dans le pas de trois avec Odile et Siegfried du troisième acte. Le final est prégnant, montrant tout le désarroi de Siegfried et la faiblesse de sa personnalité subissant les conséquences de la tromperie de Rothbart.

Casse-Noisette, Corps de ballet du Théâtre alla Scala de Milan-ph.Brescia et Amisano

Outre Alpes à Milan, Manuel Legris en collaboration avec Aleth Francillon ont fait rêver le public avec un Casse-Noisette éblouissant. Depuis longtemps on n’avait pas vu une compagnie à ce point en forme, un Corps de ballet composé de plusieurs jeunes danseurs, impeccable dans le moindre détail: coordination, port de bras, synchronie de mouvements ont été à leur sommet surtout dans les passages de la Valse des flocons des neiges et de la Valse des fleurs installant la juste atmosphère féérique.

Nicoletta Manni et Timofej Andrijashenko, Casse-Noisette-ph.Brescia et Amisano

Les interprètes principaux, les premiers danseurs Nicoletta Manni et Timofej Andrijashenko ont rayonné à partir de leur premier pas de deux : il suffit de se souvenir de leur série en diagonale de chassés où ils semblaient s’envoler ; de leurs grand jetés, des variations virtuoses du deuxième acte où la finesse du style Noureev a été honorée avec toute l’attention requise pour les points techniques précis qui créent son pouvoir expressif. Notamment, l’exécution des penchés arabesques avec des épaulements justes constituent un plus dans l’interprétation de Nicoletta Manni. L’atmosphère de rêverie n’est pas perçue de manière distante mais dans la capacité d’apparaître réelle grâce à l’implication de tous les danseurs. Le retour à la réalité qui constitue le final du ballet se fait de manière naturelle créant l’unité de l’œuvre.

Nicoletta Manni et Timofej Andrijashenko, Casse-Noisette-ph.Brescia et Amisano

Le fil rouge qui anime ces deux productions s’appelle Rudolf Noureev certes, mais la reconnaissance va aussi aux directeurs et responsables de ces deux importantes institutions qui transmettent son héritage à une nouvelle génération de danseurs pour leur faire comprendre toute sa portée et les subtilités interprétatives que ces œuvres peuvent encore offrir.

Les représentations du Lac des Cygnes continuent à l’Opéra Bastille à Paris jusqu’au 1 janvier 2023; Casse-Noisette sera à l’affiche du Théâtre alla Scala de Milan jusqu’au 11 janvier 2023.

Antonella Poli

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