Carolyn Carlson, poétesse du mouvement, accède à l’Académie des Beaux-Arts

Carolyn Carlson, poétesse du mouvement, est entrée à faire partie de la section chorégraphique de l’Académie des Beaux-Arts à Paris, le 15 Juin dernier au cours d’une cérémonie d’installation où elle a parcouru sa carrière à sa manière, laissant à sa poésie le pouvoir de s’exprimer.

Elle est une artiste sans limites. Sa créativité s’exprime par la chorégraphie et particulièrement par ses soli qui traduisent en mouvements dansés sa pensée sans passer par les mots ; mots que l’on trouve dans ses poèmes ; poèmes renvoyant en boucle à cette spiritualité profonde et humaine qui l’anime.

Manifestement , elle appartient à ces chorégraphes qui ont su le plus imprimer un sens intime et spirituel au geste dansé. La nature est une de ses sources d’inspiration et la liberté est son moteur, caractéristiques qui la rapprochent d’ Isadora Duncan. D’origine finlandaise, elle est née en Californie de parents finlandais fuyant l’invasion russe de l’est de la Finlande dans les années quarante. Dès son jeune âge,  le contact avec l’océan, les montagnes et les éléments naturels ont forgé son esprit artistique : « Face à l’Océan Pacifique j’étais cette enfant qui regardait médusée les grandes vagues s’effondrer sur le rivage dans un grondement de tonnerre et ne s’évanouir dans le sable que pour renaître encore et encore, perpétuel élan de flux et reflux. Je percevais comme éternel cette suspension du temps, rêvant que notre vie était un cercle sans début ni fin, faite seulement d’instants toujours recommencés…Ecoutez les courants furieux se jeter sur les roches. Regardez les étoiles voltiger tout là-haut. Sentez la forêt, qui s’étend sur la montagne, souvenir de l’effort d’atteindre le sommet. Sentiment de ne faire qu’une avec la nature. J’étais l’océan, l’arbre, la rivière, les étoiles, la montagne ».

Puis vient la vie new yorkaise des années soixante, en plein ferment artistique où elle rencontra Alwin Nikolais, son grand maître avec lequel Carolyn Carlson mûrit l’art de l’improvisation en saisissant et fixant ses principes : « Il a allumé une étincelle dans mon cœur et mon esprit. Il m’a ouvert une porte qui ne s’est jamais refermée. L’avenir était tracé. Dans le concept de danse de Nikolais, il n’y avait pas des pas à apprendre. Il développait les principes abstraits et universels pour trouver « le geste unique ». L’abstraction pour Nik, n’élimine pas l’émotion. Les présents les plus grands donnés à l’homme sont sa capacité de penser en termes d’abstraction et sa capacité de transcendance. De ceux-ci, il fait dériver son pouvoir d’imagination. LE TEMPS : le temps qui passe, le rythme, l’immobilité.  L’ESPACE : la distance, la proximité, le volume. LA FORME : densité sculpturale. MOTION : mouvement perpétuel comme la respiration, les battements du cœur. L’IMPROVISATION sur ses principes nous permettaient d’écouter nos instincts créatifs. Un sens de l’urgence d’actes spontanés, servant la  forme. ».

Enfin, de l’Amérique elle arrive en France en 1971. Après avoir été nommée Étoile-chorégraphe par Rolf Liebermann en 1974, elle dirige le Groupe de recherches théâtrales de l’Opéra national de Paris (GRTOP) jusqu’en 1980 :

Pierre d’angle : liberté, courage, risque, innovation une étincelle met le feu au sous-sol tout était désert brûlant. Tout était porte ouverte, capteurs de prémonition pris dans les tourbillons du changement, intervention divine imprévue, empreintes embryonnaires pour la postérité.

Ce sont les années des créations : Density 21,5 (1973),  Il y a juste un instant,  Sablier Prison (1974), Wind, Water, Sand (1976), This, That and the Other (1977), Writings in the Wall (performance filmée, 1979) et Slow, Heavy and Blue (1980).

Pour le Ballet de l’Opéra de Paris, elle créé ensuite Don’t Look Back (1994) et Signes avec le peintre Olivier Debré (1997). De 1999 à 2002 elle dirige la Biennale de la danse à Venise. Ces années marquent aussi son étroite collaboration avec le compositeur poète René Aubry, ouvrant de nouveaux paysages artistiques plus intimistes  :

Changement de schéma. Semences organiques. Oxygène italien. Etrange prémonition de… convergence. Echos de pas sur la pierre, flots miroitant d’un courant mystique et des siècles obscurs des lagunes vénitiennes, mémoire karmique des souvenirs lavés. Une autre génération d’artistes en herbe apprend son enseignement, reçoit les dons laissés en héritage… La passion forcenée de l’instinct et de la quête. Dynamite et dentelle Artisans de la danse qui produisaient leur propre génie.  

L’institution prestigieuse italienne lui attribue le Lyon d’Or pour sa carrière en 2006.

En 1999, Carolyn Carlson fonde l’Atelier de Paris sur le site de la Cartoucherie, qui devient rapidement un lieu de référence en matière de formation professionnelle et dont elle est aujourd’hui présidente d’honneur. Et on reste toujours impressionné, émerveillé à la voir danser dans le Masterclass qu’elle anime pour les danseurs. Son geste reste unique, sa dévotion à la danse reste pérenne, sa simplicité d’artiste lui donne une aura d’étoile.

Pour clore la cérémonie, Carolyn Carlson a choisi les mots de son maître Alwin Nikolais :

« Chaque nouvelle perspective de l’art détruit une autre barrière sur le chemin de la quête de l’homme pour sa liberté. La caractéristique principale du regard chorégraphique contemporain, c’est la liberté. Mais celle-ci est à envisager du point de vue de la poésie primordiale de la vie qui est tout et vraiment tout-très  exactement ce qu’on appelle l’Art. »

Académie des Beaux-Arts, 15 Juin 2022

Antonella Poli

 

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