La Bayadère et la nomination de François Alu à étoile de l’Opéra de Paris
Chorégraphie : Rudolf Noureev
Musiques : Ludwig Minkus
Depuis longtemps on s’attendait à la nomination d’étoile de François Alu, le danseur rebelle, hors norme, de l’Opéra national de Paris. Ses fans et les passionnés de danse la réclamaient. Après la déception de mercredi 20 Avril, samedi 23 Avril, à l’issue de la représentation de La Bayadère de Rudolf Noureev, a eu lieu la consécration du premier danseur au grade ultime du Ballet de l’Opéra de Paris… Histoire d’un guerrier et de La Bayadère à l’Opéra national de Paris en 2022.
Il était presque 22h30 et le rideau tombait sur la scène de l’Opéra Bastille le 20 Avril 2022. Le public de la salle comble frémissait, s’attendant à une conclusion « étoilée » : la nomination du premier danseur François Alu au plus haut échelon du Ballet de l’Opéra national de Paris. Les spectateurs applaudissaient enthousiastes à chaque sortie de scène des danseurs lors des saluts finaux : Dorothée Gilbert, François Alu, Bianca Scudamore et tout le Corps de Ballet. Mais Alexander Neef, Directeur Général de l’Opéra et Aurélie Dupont, Directrice de la Danse, n’apparaissaient pas. Leur présence sur le plateau aurait signifié la nomination attendue selon les règles de l’Opéra. L’impression nette était que le public n’attendait que ces derniers. En vain.
Mais faisons un pas en arrière dans la soirée de la première, le 3 avril dernier.
La Bayadère est la dernière chorégraphie de Rudolf Noureev créé en 1992 pour l’Opéra national de Paris, considéré en quelque sorte comme son ballet testament.
L’œuvre fascine pour ses ambiances orientales et pour son argument à la fois tragique et romantique. Même dans ce cas, comme dans d’autres ballets du répertoire classique, l’amour altéré par des sentiments de jalousie, de trahison et d’intérêts triomphe dans un monde onirique qui le sublime.
L’argument raconte la liaison amoureuse et impossible entre le guerrier Solor et la bayadère Nikiya empoisonnée par Gamzatti, la fille du Rajah, promise en mariage à Solor. Le soir de la première propose une distribution d’exception avec les étoiles Sae Eun Park (Nikiya), Valentine Colasante (Gamzatti) et Paul Marque (Solor). Dès son entrée en scène, la chorégraphie réserve à ce dernier des passages vigoureux avec des sauts majestueux. Le premier pas de deux entre les deux amants est lyrique : Sae Eun Park et Paul Marque expriment leurs sentiments de manière raffinée, en particulier chez ce dernier qui démontre à l’instar du passé son extrême sensibilité et son élégance. (Nous rappelons que ce ballet est pour le danseur très important car il fut nommé étoile en interprétant l’Idole d’Or le 13 décembre 2020).
Mais la musique aux tonalités mineures laisse pressentir le destin tragique. Une danse délicate et raffinée se dégage de leurs corps unis par la tension magnétique de leur passion.
Dès les premiers tableaux, le vocabulaire chorégraphique met l’accent sur des ports de bras qui rappellent la danse traditionnelle de l’Inde. Ils symbolisent, notamment pour Nikiya, danseuse sacrée dédiée au temple, son élévation spirituelle et son esprit de dévotion. La danse des odalisques qui suit en est un autre exemple valorisant le mélange entre technique académique et celle se référant à la danse classique indienne. Les attitudes et les ports de bras si caractéristiques créent des formes corporelles stylisées révélant l’origine de ces figures dansées.
La danse des éventails et celle des perroquets, suivies par la danse indienne sont bien menées par les danseurs du Ballet de l’Opéra national de Paris.
L’entrée en jeu de Gamzatti opère un changement d’atmosphère. Certes, étant la fille du rajah, elle joue de son pouvoir. On connait la force expressive et la maîtrise de la technique de Valentine Colasante qui s’impose aux yeux des spectateurs jusqu’au duel avec Nikiya, affaiblie et victime de son sort.
Le troisième acte s’ouvre avec Solor, isolé et brisé pour la perte de Nikiya. Son esprit s’envole vers le Royaume des Ombres, un univers de rêverie. Le défilé de ces trente-deux danseuses, toutes alignées, en tutu blanc, commence. Ce passage reste un des plus emblématiques et harmonieux de la danse classique comme celui analogue du deuxième acte de Giselle : une par une, elles apparaissent et avancent lentement sur scène, en alternant tout en douceur leurs tendus et leurs arabesques, symboles d’équilibre et d’infini. Le charme de ce tableau opère encore aujourd’hui !
Les variations des trois ombres principales, les premières danseuses Heloise Bourdon, Silvia Saint-Martin et Roxane Stoyanov rayonnent sur le plateau pour créer le prélude au pas de deux final du ballet où Solor et Nikiya parviennent à se retrouver. Cependant, l’alchimie entre les deux interprètes n’est pas totalement au rendez-vous : Sae Eun Park peine à conserver le même niveau de lyrisme et d’empathie envers son partenaire induisant une certaine déception quant aux attentes du public.
Pour revenir à la soirée du 20 Avril, il faut souligner que Dorothée Gilbert et François Alu ont tout de suite trouvé leur entente, restant également magistraux dans leurs variations. Leur interprétation laissait apparaître de manière plus juste les caractères des personnages et particulièrement leurs états d’âme. Mme Gilbert se distinguait par l’intensité émotionnelle dégagée par sa gestuelle ; M. Alu fascinait par sa puissance et son attention envers sa partenaire. Bianca Scudamore (Gamzatti) a confirmé son évolution artistique interprétant son rôle de manière très subtile : malicieuse vis-à-vis de Nikiya, autoritaire et séduisante vis-à-vis de Solor. Elle a démontré aussi son habilité technique dont ses stupéfiants fouettés du deuxième acte. Une vraie surprise pour la soirée !
La soirée s’est clôturée sous le signe de la rigueur et du romantisme dictés par le pas de deux final de Nikiya et Solor. La performance du couple Gilbert-Alu en plein accord a couronné la soirée…
C’était un prélude pour tous les passionnés de danse qui ont dû attendre jusqu’à samedi 23 Avril pour voir François Alu promu au grade ultime du Ballet de l’Opéra national de Paris.
Opéra Bastille, 3 et 20 Avril 2022
Antonella Poli