L’histoire de Manon
Débauche vestimentaire et désir d’affirmation sociale son les deux thèmes principaux du roman écrit par l’Abbé Prévost dans la dernière moitié du XVIII siècle. Le lecteur rentre dans le Paris de la Régence où la bourgeoisie cède aux costumes faciles. A l’époque l’oeuvre fit un scandale et fut censurée deux fois, même si l’histoire de Manon est une tragédie où l’amour et les sentiments sont les vrais vainqueurs.
Maupassant écrit, non par hasard : » Dans cette oeuvre, si pleine de charmes et de perfidie instinctive, l’écrivain semble avoir concrétisé tout ce qui est le plus plaisant, le plus alléchant, et le plus infâme, de la créature féminine ! Manon est entièrement, complètement femme, comme elle l’a toujours été, comme elle l’est et comme elle le sera toujours. «
C’est une synthèse parfaite qui met en évidence toutes les qualités de ce personnage féminin en en dessinant presque un prototype de la femme.
En 1974, le chorégraphe Kenneth MacMillan s’inspire du roman de l’Abbe Prévost pour créer un ballet en trois actes qui a été représenté au Théâtre La Scala de Milan jusqu’au 15 Novembre dernier avec les étoiles Svetlana Zakharova, Natalia Osipova, Roberto Bolle et le jeune talent Claudio Coviello.
Les protagonistes du ballet sont Manon, Des Grieux et Lescault, le personnage qui conduit l’histoire. La chorégraphie peut être considérée comme innovatrice si on tient compte du fait qu’elle a été créée il y a quarante ans. Elle est riche de passages complexes, surtout dans les pas de deux, et elle demande une grande force d’interprétation de la part des artistes. Les moments les plus importantes sont la variation de Des Grieux et le pas de deux du premier acte où les amants commencent à se déclarer leur amour, une variation de Manon où elle montre toute son avidité pour le luxe, et un pas de deux » langoureux » où Des Grieux essaie d’adoucir et de faire changer de vie Manon dans le deuxième acte ; et enfin, dans le troisième acte, le pas de deux où sensualité, tendresse, amour et mort s’entrelacent pour un final obscur et tragique. Il ne faut pas oublier aussi les parties dansées de Lescault remarquables car elles demandent aussi des qualités théâtrales. Il est un acteur central car c’est lui qui combine l’union de sa soeur Manon avec un noble parisien.
Le comportement de Manon et son acceptation initiale de cet accord est justifié par Macmillan qui affirme : » La clef de sa décision, on peut la retrouver dans ses origines : une famille digne, certes, mais modeste et aussitôt pauvre, dans un XVIII siècle où les fortunes se créent et se défassent à la vitesse d’un orage. Dans la misère, on finit par perdre toute dignité. Et Manon a tellement peur de la misère ! Elle a moins peur de la pauvreté que de la honte d’être pauvre !
La première distribution était composée par le couple Zakharova-Bolle dans les rôles de Manon et de Des Grieux, le premier danseur Antonino Sutera (Lescault) et Emanuela Montanari son amante. Les deux étoiles, grâce à leur expérience, ont impressionné le public même s’ils ont été moins passionnels que d’habitude. Antonino Sutera pouvait être plus malin dans son interprétation autant qu’Emanuela Montanari pouvait sembler plus coquine dans son rôle d’amante. Dans le pas de deux final Manon (Zakharova), désormais épuisée, est trainée sur les épaules de son Des Grieux ; sur son visage et sur son corps, on voit la mort.
Avec la deuxième distribution on a l’impression de voir un autre spectacle. Natalia Osipova, très expressive et le jeune talent du théâtre La Scala, Claudio Coviello, constituent un couple parfait. Le danseur, malgré son âge (21 ans), apparaît déjà mûr pour un rôle si important et nous touche par son amour pour la vie. Dans le pas de deux finale , par ses regards et ses mouvements de bras, il essaie de redonner vie à sa Manon, désormais à l’agonie. Certainement, travailler avec Natalia Osipova l’a enrichi d’un point de vue professionnel. Il semble avoir fait beaucoup de progrès par rapport à sa performance dans le Lac des Cygnes du mois de juillet dernier. Remarquable aussi Mick Zeni dans le rôle de Lescault qui a su conduire de manière magistrale toute l’histoire ainsi que Alessandra Vassallo.
La musique de Massenet, des morceaux d’après les oeuvres Le Cid, Thaïs, Don Quichotte, Cléopâtre, Ariane et Cendrillon, se révèle une excellente source d’inspiration pour le chorégraphe puisque ce ballet est aimé aussi pour son homogénéité entre la musique et la danse.