Juste au corps Salomé

Chorégraphie : Andréa Sitter

Distribution : Andréa Sitter

Juste au corps Salomé-ph.Pascal Bouclier

Avec Juste au corps Salomé Andréa Sitter invente un solo ouvrant une réflexion autour de la pensée ambivalente à l’égard du corps et ses  métamorphoses. Elle condamne toute forme d’autoritarisme, en particulier la domination masculine, pernicieuse ou provocante, particulièrement écrasante sous le régime allemand du national socialiste. Trois figures emblématiques juives constituent des repères idéologiques pour la construction de la pièce : Hannah Arendt, Valeska Gert et Salomé.

La chorégraphe/ interprète douée d’un corps extraordinaire, sculpté à la fois par son expérience de danseuse classique et contemporaine, choisit de se livrer de manière audacieuse. Elle le fait dès le début, apparaissant sur scène transformée en une créature hybride, dans une autre  identité ; elle est cagoulée,  moulée  dans un collant qui dessine toute sa silhouette.

Elle fait allusion à sa double formation professionnelle (danse classique et contemporaine) chaussant au pied droit une pointe et au pied gauche une escarpin à talon. Mais parallèlement à cette recherche personnelle identitaire, à travers une marche « pointillée » où le décalage des pas marque le rythme créé par la différence des chaussures, elle nous entraine dans l’univers grinçant de  Valeska Gert  qui dénonce la corruption de certains dignitaires sous le régime nazi.  « Danseuse, femme, séductrice, drag-queen ? » ; elle s’interroge. 

A travers ces questionnements, elle créé un parallélisme avec la « Salomé juive » qu’elle réincarne, femme biblique séductrice et meurtrière manipulée par sa mère. 

Changement de costume rapide : Andréa Sitter, sobrement habillée, pantalon et chemisier foncés, danse son premier morceau de la soirée, on remarque sa gestuelle précise… mais dès lors qu’elle termine, une vidéo très forte prend sa place : le corps hybride, sans visage, s’attribue un pénis. Est-ce que le choix de se conformer à ce genre aboutit à dominer les individus mais aussi les animaux ? Autre changement d’atmosphère qui semble donner la réponse : Andrea Sitter, assise par terre sur le plateau imagine être entourée d’animaux : âne, lapin, poule… et « pauvre chat…, chat noir éliminé » prononce-t-elle, confrontée au destin de « disparaître dans le vent », mêlé aux injonctions « tu ne vaut rien », « on va vous gazer ».

Des moments où la vidéo domine la scène s’alternent à d’autres dansés : les images fortes où le corps hybride, métamorphosé avec une bourse testiculaire accrochée à partir de la ceinture, coule un liquide jaune évocateur de sperme sont contrastées par les solos de l’interprète qui lance des messages de protestation, de contestation utilisant des musiques aux styles différents (Richard Strauss, Bela Bartok, Jay Hawkins, Deep Purple, Alfredo Catalani).

Une dernière transformation s’impose dans une robe aux voiles scintillants, faisant reparaitre à deux femmes, « stripteaseuse, sulfureuse, pipeuse, allumeuse… » : la « danse canaille » de Valeska Gert dans les cabarets à l’époque de la danse expressionniste s’opposant au nazisme et à la danse érotique des sept voiles de la mythique « Salomé littéraire » et son image péjorative de « femme fatale » au 19ème siècle. 

Andréa Sitter se réapproprie son corps pour livrer au public un moment de gaieté.

Avec cette création la chorégraphe/interprète allemande confirme toute sa sensibilité mais surtout sa maîtrise de faire parler son corps de manière unique.

Paris, Festival Bien Fait!-Micadanses, 18 Septembre 2018

Antonella Poli

A propos de l’esthétique d’Andréa Sitter lire aussi La Cinquième Position

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