Sur la Lame
La solitude forcée des êtres résultant de la situation sanitaire de confinement due à la pandémie du Covid-19 engendre un sentiment d’anxiété et d’incertitude selon le propos du directeur artistique du Festival de Saint-Sauveur Guillaume Coté. Dans ce contexte, il entend combattre l’isolement et la morosité partagée par la planète entière en concevant des duos insolites alliant un danseur et un musicien, offrant du même coup la création à des artistes privé-e-s temporairement du Grand Chapiteau à Saint-Sauveur, dans les Laurentides canadiennes.
Chaque semaine de l’été, le festival filme la réalisation des artistes et les expatrie jusqu’en France. Avec « nos cousins canadiens », nous sommes conviés à pénétrer « la nature profonde de la forêt boréale de Saint Sauveur »
Le dimanche 5 Juillet, cette programmation vidéo est inaugurée par une performance dansée par Valeria Galluccio, avec une chorégraphie de Marie Chouinard, accompagnée par le percussionniste Alexandre Lavoie, sur une composition de Louis Dufort.
Dans son introduction, Guillaume Coté interpelle Marie Chouinard sur sa conception de la créativité. Avec enthousiasme, la chorégraphe renommée évoque la phase originaire où idées, pressentiments et intuitions jaillissent mêlés à un sentiment d’urgence qui conduit à s’aventurer dans un inconnu à la fois « effarant et excitant » et, surtout, à entrer dans l’action. Elle se dit entrainée avec bonheur sur les méandres de l’imprévu débouchant aussi bien sur « la grâce » que sur la révision pénible de certaines « intuitions primordiales ». L’acte créatif est la rencontre de divers éléments qui ouvre sur une construction d’où adviennent de nouveaux horizons, cette « terre inconnue » s’avérant très féconde pour Marie Chouinard.
La partie musicale est composée par Louis Dufort présenté par Yannick Nezet-Séguin (directeur de l’Orchestre Métropolitain) comme « un percussionniste des plus musicaux et curieux ». Leur discussion évoque l’intérêt créatif de rythmes à partir de « tam-tam », le choix des « baguettes », la composition étant jouée par un jeune musicien nouvellement promu Alexandre Levoie.
C’est la danseuse Valeria qui nous emmène dans cette terre inconnue.
Alors qu’elle chemine, solitaire et hagarde, sur une route déserte, elle est happée par un son profond, rythmique, répétitif, qui monte et s’étend en nappe autour d’elle et l’englobe. Ainsi que nous, les spectateurs de la vidéo.
Tel un appel irrésistible, mystique et animiste, elle y répond en s’enfonçant dans la forêt verdoyante bordant la route. Elle avance sur pointes dans les sous-bois, hésitante et curieuse. Alors que son corps, par quelques mouvements ondulants, absorbe les ondes vibratoires d’un gong, elle s’agenouille et caresse une grosse souche d’arbre sectionnée, accole sa joue à cette blessure. Semi-allongée, elle perçoit -peut-être- des cris silencieux dus à la blessure ou des messages d’ancêtres incorporés à l’arbre abattu.
Mais cette osmose envoutante avec la nature se veut une voie voluptueuse, sublimatoire, séduisante et en même temps rassurante. Nourrie par cette énergie retrouvée, et se redressant, elle saisit une longue et solide branche. Munie de ce bâton de pèlerin, son solo se poursuit à la recherche de la source des sons dont la résonance emplit l’espace : marche périlleuse, où son corps se désarticule en assumant parfois aussi des allures animalesques, repos sur le sol, respiration des feuilles mortes et de la vie éphémère qui se renouvelle ; cambrure du dos et élévation du visage vers les cimes des arbres et la lumière ; reprise de son exploration et jeux de jambe… jusqu’à la découverte du musicien et sa batterie en contrebas du chemin. Echanges de leurs regards et joie réciproque de leur présence. Cette vision vivante de la forêt et son âme conjuguée à la danse et la musique procure un véritable moment de sérénité que le spectateur, en symbiose avec cette création, voudrait prolonger. Et peut-être tenter cette qualité d’expérience.
Jocelyne Vaysse-Antonella Poli
Pour revoir la vidéo :